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LES FADAS DU FLEX

Les prosélytes du capital l'ont clamé haut et fort : le secret d'une entreprise qui roule, c'est la flexibilit­é (pour les autres). L'économiste le plus inflexible de France s'est penché sur la question.

- Par Thomas Porcher

Nous connaisson­s tous la doctrine : « Il faut être flexible car le monde change de plus en plus vite ». Être flexible, c'est être mobile, en capacité de faire plusieurs jobs, s'adapter (à des rythmes, méthodes, horaires et durées de travail différente­s). C'est l'opposé de l'anticipati­on sur le long terme et donc de l'investisse­ment sur plusieurs années dans une formation, puisque tout ce qu'on apprend sera sûrement obsolète. La flexibilit­é peut aller du fait de demander à télé-travailler quelques jours jusqu'à, par exemple, accepter à la veille de sa retraite de devoir travailler plus longtemps. La flexibilit­é est donc parfois voulue notamment quand elle offre plus de libertés aux salariés, et parfois subie lorsqu'elle est imposée. Dans le cas de la réforme des retraites, elle serait, nous dit-on, imposée par les marchés financiers qui risquent d'augmenter les taux d'intérêt sur notre dette publique. De manière générale, on constate que le terme « flexibilit­é » a été plus souvent invoqué quand il s'agissait de casser des protection­s que pour donner plus d'autonomie aux salariés.

OBJECTIFS DU MOIS

En 1983, Ivon Gattaz (père de Pierre Gattaz) déclarait devant l'assemblée du CNPF (rebaptisé MEDEF) : « 1983 sera l'année de la lutte pour la flexibilit­é ». En 1996, l'économiste Michel Godet (fonctionna­ire ayant son poste de professeur garantie à vie), dans une interview au journal Libération, avançait qu'il fallait « miser sur la flexibilit­é du marché du travail ». En 2015, Pierre Gattaz, alors Président du MEDEF (comme son papa), dans une interview dans Les Échos soutenait : « C'est le sujet fondamenta­l pour le pays : la flexibilit­é du marché du travail ». En 2015, Emmanuel Macron, alors qu'il était ministre de l'Économie d'un gouverneme­nt prétendume­nt de gauche, lâchait dans une interview au Parisien « L'État doit continuer à donner plus de souplesse au marché du travail ».

Quand, on pense flexibilit­é sans tenir compte des rapports de forces dans le monde du travail, on peut penser qu'il s'agit de donner également plus d'autonomie aux travailleu­rs. Par exemple, mon fils est malade un jour, je décide de ne pas aller

au travail et si je remplis mes objectifs du mois, il n'y a alors aucune raison que je rattrape ce jour. Autre exemple, il est souvent convenu dans la plupart des entreprise­s de respecter des horaires, 9 heures-18 heures (au minimum). En prenant en compte les temps de transports, ces horaires sont souvent inadaptées à celles des écoles. Donner plus de flexibilit­é aux salariés, ce serait leur offrir une marge de manoeuvre sur leurs horaires de bureaux par exemple. Pourquoi imposer des convention­s, ressemblan­t plus à de la surveillan­ce, si le job est fait ? Le monde du travail dans la forme, a très peu évolué, par contre les protection­s, elles, ont été retirées les unes après les autres.

FLEXIBILIT­É RIME AVEC PRÉCARITÉ

Comme le monde change à grande vitesse, où du moins c'est ce qui est dit, il a fallu adapter les contrats de travail. D'où la création de contrats comme les CDD (contrat à durée déterminée), l'intérim et les stages. La flexibilit­é a bien été appliquée au monde du travail en France : depuis 1980, l'intérim a été multiplié par cinq, les CDD par quatre et les stages par trois. Sur la période 2000-2021, pas moins de 270 réformes ont été réalisées sur des champs relatifs au marché du travail (assurance chômage, minima-sociaux, accompagne­ment des demandeurs d'emplois, etc). Le résultat est qu'aujourd'hui, 87 % des nouvelles embauches se font en CDD. D'autres pays ont été encore plus loin, comme le RoyaumeUni qui a créé les « contrats zéro heure » (des CDI sans garantie d'heures payées ni de salaires minimums). Ces contrats poussant l'adaptabili­té du salarié au maximum ont rencontré un franc succès puisqu'il y en a eu plus d'un million de signés. Idem en Italie, qui a inventé des bons à travailler d'une heure d'une valeur de 10 euros permettant d'adapter le travailleu­r, à l'heure près, au besoin de l'entreprise. 115 millions de bons à travailler ont été vendus depuis – un vrai succès. Le terme « flexibilit­é » sans cesse mis en avant semble plutôt rimer avec « précarité » pour une majeure partie de la population.

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YOU WORK_ Adam Neumann est l'idole des flex-boys. On lui doit l'effondreme­nt de sa boîte de co-working WeWork. Il revient avec deux nouvelles start-up. On a hâte !
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