Technikart

UN ROBOT À L'OPÉRA

Cela fait deux ans que les Daft Punk se sont séparés. On se demandait ce qu’ils foutaient l’un et l’autre. Bangalter dégaine le premier avec une musique pour un ballet d’Angelin Preljocaj.

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

MYTHOLOGIE­S (ERATO/WARNER CLASSICS)

Retour un quart de siècle en arrière, à l’époque de Homework. Sur le morceau « Teachers », les Daft rendent hommage à leurs maîtres : Lil’ Louis, Jeff Mills, Green Velvet, Derrick Carter… Les noms défilent et on n’entend pas ceux de Vivaldi, Mozart, Bach ou Stravinsky. De l’eau a coulé sous les ponts. Depuis 2013 (dix ans déjà !) et le fracassant Random Access Memories, Daft Punk n’a quasiment rien sorti – deux titres avec The Weeknd, un avec Parcels. Et puis le duo a splitté en 2021. En solo, Thomas Bangalter a composé la BO du Climax de Gaspar Noé et produit deux titres, le single lourdingue « Everything Now » d’Arcade Fire et la chansonnet­te funky « Superchéri­e » de Matthieu Chédid – des mauvaises fréquentat­ions indigne de lui. Qu’a-t-il fait d’autre, à part perdre ses cheveux ? On savait par des amis à lui qu’il s’était acheté une splendide harpe de collection hollandais­e, et qu’il s’était mis à en jouer. Les mêmes amis le disaient inquiet, limite paranoïaqu­e, angoissé par l’évolution de l’industrie du disque. Allait-il revenir avec un coup d’éclat façon Stanley Kubrick, ou s’enfoncer dans la folie tel Howard Hughes ?

GRÂCE PURE

L’an dernier, surprise : Angelin Preljocaj annonçait la création d’un nouveau ballet, Mythologie­s, à l’Opéra National de Bordeaux. Le chorégraph­e avait déjà collaboré avec Air il y a vingt ans, et Nicolas Godin plus récemment. Cette fois-ci, il s’acoquinait carrément avec le cerveau de la French Touch : Thomas Bangalter, mesdames et messieurs ! Pour ceux qui n’étaient pas invités à son anniversai­re, précisons que Bangalter vient de fêter ses 48 ans. Un bon âge pour laisser de côté les synthétise­urs et le vocoder. Ayant tout à réapprendr­e, le robot a fait équipe avec le compositeu­r et chef d’orchestre Romain Dumas pour mener à bien ce projet. Lequel Dumas précise : « Comme on le sait, Thomas a longtemps travaillé avec de l’électro-acoustique et de l’électroniq­ue sans forcément avoir à s’interroger sur des questions comme la longueur d’une respiratio­n chez les bois, comment sonne chaque registre d’un instrument, comment tout cela se mélange… C’est comme ça que je suis arrivé sur ce projet, puis au fur et à mesure, on a trouvé une façon d’avancer ensemble pour que ça reste fondamenta­lement la pièce de Thomas. » En 2010, Daft Punk avait relevé le défi de la bande-originale de film en s’attelant à celle de Tron : L’Héritage. Le résultat n’avait pas été à la hauteur de l’attente.

Ce projet de Mythologie­s pouvait laisser sceptique : allaiton assister à une poussée de mégalomani­e aigüe ? Que les fans se rassurent : le pari, gonflé, est plus que réussi. On baigne pendant une heure et demie dans l’univers de Tchaïkovsk­i, rien à voir avec Romanthony ou Nile Rodgers, et cela va bien à Bangalter. L’album, classique dans tous les sens du terme, contient des moments de grâce pure, tels que « Danae » et surtout « Treize nuits ». Visiblemen­t, le génie de l’électroniq­ue a réussi à apprivoise­r la longueur d’une respiratio­n chez les bois. Il n’y a parfois qu’un pas de la house de Chicago au Lac des cygnes.

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CROQUÉ_ Thomas Bangalter portraitur­é par l'as de l'esquisse Stéphane Manel.

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