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CHERCHEZ LES LEÇONS

Dans un récit mélancoliq­ue et littéraire­ment sidérant, Mirwais raconte les coulisses de Taxi-Girl. Un livre qui devrait refroidir les admirateur­s naïfs de Daniel Darc…

- TAXI-GIRL : 1978-1981 MIRWAIS Séguier (243 p., 21 €)

« Daniel et sa culture de la violence et du meurtre portèrent une grande responsabi­lité dans la chute. Mais je tiens à lui rendre hommage sur un point : sa carrière ne l’intéressai­t pas. So do I. Nous partagions ce point commun. Cet homme a berné absolument toutes les personnes qu’il a rencontrée­s au cours de son existence. Il s’est sans doute berné lui-même en croyant aux mensonges qu’il proférait. Il est mort comme un clodo. Moi, j’avais d’autres ambitions. »

Ces lignes sobres et caustiques, situées vers la fin du livre de Mirwais, donnent une idée de son style et de son ton. Ce n’est pas la légende kitsch qui est imprimée dans Taxi-Girl : 19781981. Près de cinquante ans après la formation de ce groupe incandesce­nt, il était temps d’en raconter la vérité. Pour le grand public, Taxi-Girl se réduit souvent à son chanteur, Daniel Darc. Les initiés savent que le seul génie de la bande était son guitariste et compositeu­r Mirwais, un étrange garçon italo-afghan, myope et maigrichon, qui entendait mélanger les Stooges et Kraftwerk. Intègre, il ne pouvait que se casser les dents auprès de tels compères. Il n’y avait pas que cette petite gouape de Darc, qui pointait Mirwais avec un flingue quand il ne s’ouvrait pas les veines sur scène. Il y avait aussi le batteur Pierre Wolfsohn (fils de l’imprésario Jacques Wolfsohn), un sale gosse camé jusqu’aux os qui mourra d’une overdose en 1981, ce qui entérinera la malédictio­n de Taxi-Girl. Il y avait enfin le manager (jamais nommé par Mirwais, et dont on ne rappellera pas ici l’identité), un escroc qui ne pensait qu’à son intérêt et faisait les poches des jeunes désaxés de Taxi-Girl. Des querelles internes aux coups fourrés du showbiz et des premiers concerts à la signature chez Sonopresse (dont les bureaux étaient situés rue Lauriston, pile en face de l’ex-siège de la Gestapo française !), Mirwais raconte cette épopée chaotique avec verve et philosophi­e – profondeur. Prévenons les lecteurs peu rompus aux ovnis littéraire­s : Taxi-Girl : 1978-1981 est écrit façon Burroughs. Mirwais s’en explique dans l’intro : « Raconter cette débâcle exigeait d’emprunter la voie de la poésie et des techniques de cut-up littéraire­s. Ainsi que de certaines formes d’argot. Je n’imaginais pas d’autres moyens. » Certaines pages bien secouées feraient passer Malcolm Lowry pour un sobre académicie­n…

SANS CONCESSION

Si le livre est sombre sur le fond, l’intelligen­ce et l’humour pince-sans-rire de Mirwais l’illuminent. Dans le milieu hypocrite et bien-pensant de la musique, il est rare de croiser des gens doués d’un cerveau. Les clichés remplacent la pensée. Mirwais est un esprit libre, original et franc-tireur. Il faut lire le passage tordant où il brocarde le Palace et sa mythologie. Les portraits sans concession qu’il brosse. Ou ce moment génial où il explique en détournant Aristote en quoi consiste la production. Ceux qui s’intéressen­t à l’undergroun­d et à la vie d’artiste peuvent filer en librairie : ils ne liront rien de plus intense cette année.

LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

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