Des nitrites dans la charcuterie: quels sont les risques?
En décembre 2020, une proposition de loi a été déposée par trois députés visant à interdire progressivement, d’ici à 2025, les additifs nitrés – nitrites de sodium (aussi appelé sel nitrité) ou de potassium, nitrates de sodium ou de potassium* – dans les charcuteries. Ces substances sont utilisées par les fabricants pour augmenter la durée de conservation des produits, donner une couleur rose au jambon (qui est naturellement plutôt gris), lutter contre le développement de la toxine botulique et accélérer le processus de maturation. Un jambon bien rose, bon marché et se conservant longtemps, c’est ce qui séduit les consommateurs. Mais des études scientifiques attestent de la nocivité pour la santé des nitrites ajoutés dans les charcuteries.
PLUS CANCÉROGÈNES QUE LA VIANDE ROUGE
Depuis 2015, l’OMS a ainsi classé les charcuteries dans le groupe des cancérogènes certains, c’est-à-dire présentant le niveau de risque le plus élevé et le plus avéré. «Avec l’alcool, les charcuteries sont les seuls produits que nous consommons à appartenir à cette catégorie. Des estimations avancent que chaque année en France, elles seraient responsables de 3000 morts par cancer colorectal et 1 000 morts par cancer gastrique», souligne le Pr Axel Kahn. Mais comment être sûr que les additifs nitrés sont responsables de ces cancers ? «En règle générale, le pouvoir cancérogène des viandes augmente proportionnellement avec leur couleur rouge. Il n’est donc pas logique que les charcuteries, qui sont issues de viandes blanches, soient plus cancérogènes que le boeuf ! L’explication de ce paradoxe pourrait bien se trouver dans les nitrites qui leur ont été ajoutés lors de leur fabrication», décrit le Pr Kahn.
LA RECHERCHE CONFIRME LE DANGER
Une étude conduite par l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) sur des rats a montré que les charcuteries nitrées ont un effet cancérogène spécifique, que n’ont pas celles fabriquées sans additif nitré. «Par ailleurs, une large enquête épidémiologique, menée chez l’homme, étudiant les consommations alimentaires sur des cohortes d’individus sur plusieurs années, conclut elle aussi que le risque cancérogène est supérieur avec des charcuteries nitrées par rapport à celles ne comportant pas ces additifs», poursuit-il.
DANS LES RAYONS DES SUPERMARCHÉS, DES JAMBONS ESTAMPILLÉS «SANS NITRITES» ONT FAIT LEUR APPARITION. FAUT-IL BANNIR CES SUBSTANCES DE NOS ASSIETTES POUR PRÉSERVER NOTRE SANTÉ ? LE POINT AVEC LE PR AXEL KAHN, GÉNÉTICIEN, PRÉSIDENT DE LA LIGUE CONTRE LE CANCER. PAR ISABELLE GRAVILLON
UNE RÉACTION CHIMIQUE EN CAUSE
«Lorsque les nitrites sont ajoutés à la viande, un de leurs composants vient se fixer sur le fer héminique. Ainsi se forme le fer nitrosylé, une substance qui selon plusieurs recherches est suspectée de provoquer des lésions de l’ADN, donc potentiellement des cancers», avance le Pr Kahn. C’est d’ail
leurs à la formation de ce fer nitrosylé que l’on doit la couleur rose du jambon! Même présents en toute petite quantité, les nitrites provoquent cette réaction chimique : rien ne sert donc de diminuer les apports, la seule solution semble être leur suppression totale.
DES ALTERNATIVES SÛRES
Si les fabricants devaient renoncer aux nitrites dans la fabrication des charcuteries, ne va-t-on pas s’exposer à une résurgence du botulisme, cette maladie grave due à une toxine paralysant en quelques heures le corps et qui se développe principalement dans la viande conservée ? «Pour les viandes crues – jambon de Parme, de Bayonne, saucisson, etc. –, la salaison suffit à prévenir le risque de botulisme.
Ici, le seul intérêt d’utiliser des nitrites est économique car il divise par trois ou cinq le temps de maturation. Quant aux viandes étuvées – jambon cuit de Paris, saucisses –, il existe des techniques alternatives pour les fabriquer sans nitrites, tout en prévenant le risque de botulisme. Les industriels les connaissent puisque nombre d’entre eux proposent déjà des jambons sans nitrites. Mais évidemment, cela coûte plus cher et il faut laisser à tous les fabricants le temps de s’approprier ces techniques alternatives», explique le professeur.
LES BONNES PRATIQUES À ADOPTER
En attendant qu’une loi soit votée, sans doute dès que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) aura rendu un avis à ce sujet, prévu pour le début de l’été, il faut adopter une ligne de conduite au quotidien. En commençant par respecter les préconisations de l’OMS afin de limiter les risques : pas plus de 150 g de charcuterie par semaine. Ensuite, si on en a les moyens, opter de préférence pour du jambon sans nitrites… même si sa couleur grise et sa texture assez sèche peuvent rebuter un peu au début. Attention également car il se conserve moins longtemps qu’un homologue avec nitrites : une fois le paquet ouvert, il faut impérativement le manger dans les quatre jours maximum.
*Sur les étiquettes, ils apparaissent sous les sigles E249, E250, E251 et E252.