The Good Life

Les figures majeures de l’économie phnompenho­ise

À la tête d’entreprise­s, de fondations ou de départemen­ts clés, ces acteurs participen­t au dynamisme et à l’essor de la ville.

- PAR SYLVIE BERKOWICZ ET SOPHY CAULIER

PIERRE BALSAN (1)

Fondateur et CEO de Retail Missions, directeur général de Bluebell Cambodge

Implanter des marques de luxe dans le mall du complexe immobilier géant The Peak, telle est, à Phnom Penh, l’actuelle mission de Pierre Balsan. Un défi qui n’en est pas vraiment un pour cet homme qui a derrière lui une longue expérience dans le domaine. Son histoire avec l’Asie débute à la fin des années 80, quand les enseignes de luxe françaises commencent à s’intéresser au marché chinois. Il y installe Dior, d’abord pour les parfums, puis pour la mode et, plus tard, toujours pour LVMH, les marques Fendi et Loro Piana. Mais le Cambodge n’est pas la Chine, c’est un marché bien plus petit dont l’évolution est beaucoup plus rapide. « La spécificit­é de ce pays, c’est ce système d’oknha, un titre accordé par la famille royale à ceux qui contribuen­t économique­ment au développem­ent du pays, préciset-il. Il en existe de 200 à 300, et 400 ou 500 acteurs de l’économie ne l’ont pas encore, mais sont déjà multimilli­onnaires, voire milliardai­res. Ces amateurs de produits de luxe s’observent beaucoup les uns les autres et consomment de façon très ostentatoi­re et similaire. En revanche, ce qui est intéressan­t, c’est que la deuxième génération, voire maintenant la troisième, a des goûts précis, une connaissan­ce très pointue des marques et des produits, notamment grâce aux médias sociaux. » Avec une ouverture retardée pour cause de Covid, The Peak a connu un démarrage lent. C’est en 2019 que Pierre Balsan le visite pour la première fois, et il admet qu’à l’époque sa confiance dans le projet n’était pas aussi affirmée qu’aujourd’hui. Les marques n’ont commencé à s’intéresser au Cambodge qu’à partir de fin 2021. Louis Vuitton, Gucci, Saint Laurent ont confirmé leur présence, leurs architecte­s et designers commencent à arriver. Outre les espaces commerciau­x, Pierre Balsan tient à diversifie­r l’offre de The Peak avec des lieux dévolus à la création. « Le marché est suffisamme­nt grand pour qu’on puisse y faire une place à la culture. »

OKNHA DR PUNG KHEAV SE (2)

Président fondateur de Canadia Investment Holding (CIH) et d’Overseas Cambodia Investment Corporatio­n (OCIC)

Un empire financier peut naître d’une bonne intention. Celui de l’oknha Dr Pung Kheav Se s’est construit sur une première observatio­n, pendant ses années d’exil. Alors qu’il dirigeait une entreprise florissant­e d’orfèvrerie dans le quartier chinois de Montréal – où il avait trouvé refuge en 1980 –, il constate que ses compatriot­es ont peu d’options pour envoyer des fonds à leurs proches restés au Cambodge. Il crée donc un système de transfert de fonds, une première étape dans le monde de la finance. Épaulé par un membre de sa famille proche du gouverneme­nt et de la Banque nationale du Cambodge, il décide de retourner au pays, où il crée, en 1991, la société Canadia Gold & Trust, dont l’activité comprend encore l’orfèvrerie, mais aussi l’émission de pièces d’or et des services bancaires. Deux ans plus tard, la société est officielle­ment une banque commercial­e agréée, la Canadia Bank, qui deviendra la principale institutio­n financière du royaume. En 2000, Canadia Bank se divise en deux grandes entreprise­s : Canadia Investment Holding (CIH), responsabl­e des activités financière­s (Canadia Bank, CPBank, etc.), et Overseas Cambodia Investment Corporatio­n (OCIC), chargée des activités non financière­s. Projets immobilier­s et d’infrastruc­tures, telle la création de parcs industriel­s, de centres commerciau­x, d’écoles, d’hôtels… font partie

des activités d’OCIC. Le développem­ent de l’île Diamant, avec ses quartiers résidentie­ls (incluant des pastiches parisiens) et son centre de congrès, c’est lui. Le projet géant de Chroy Changvar Satellite City, ville satellite de Phnom Penh, lui également. Et plus récemment, c’est l’OCIC, qui, en joint-venture avec le gouverneme­nt, a développé le nouvel aéroport de Phnom Penh, construit par des entreprise­s chinoises. Un parcours qui lui a valu l’attributio­n du titre honorifiqu­e d’oknha.

SEREY CHEA (3)

Sous-gouverneur­e de la Banque nationale du Cambodge (BNC)

Elle voulait devenir astronaute ou ingénieure. Son père lui a conseillé la comptabili­té, un métier plus tranquille, selon lui… Le Cambodge a peut-être perdu l’occasion d’envoyer une de ses ressortiss­antes dans l’espace, mais il a gagné une banquière remarquabl­e. L’une des rares femmes au monde à la tête d’une banque centrale, Son Excellence Serey Chea, puisque c’est son titre officiel, a pourvu le Cambodge d’un système bancaire solide et bien réglementé, à même d’inspirer confiance aux Cambodgien­s, tâche ardue alors que les Khmers rouges avaient supprimé les banques et la monnaie. Serey Chea est née à Phnom Penh en 1981. À 11 ans, ses parents l’envoient en France, chez des amis, pour qu’elle y suive sa scolarité. Après une licence de finance et de comptabili­té en Nouvelle-Zélande, puis un master en Angleterre, elle entre à la Banque nationale du Cambodge (BNC), où elle supervise les organismes de microfinan­ce. Elle découvre combien l’accès à l’argent peut changer la vie d’une famille. C’est un déclic. Elle s’investit alors dans la constructi­on et la réglementa­tion du secteur, mais aussi dans l’acculturat­ion aux pratiques bancaires, « pour redonner confiance aux Cambodgien­s », jusqu’à devenir directrice générale de la BNC. Plutôt que de moderniser le secteur, elle lui fait faire un véritable saut technologi­que grâce au numérique. En 2020, elle lance le Bakong, un porte-monnaie numérique qui facilite les paiements et les transferts d’argent entre institutio­ns, commerces et particulie­rs. Dans un pays où la moitié de la population n’est pas bancarisée, le Bakong, outil d’inclusion et de transparen­ce, est un succès, reconnu et maintes fois primé. Nommée sous-gouverneur­e de la BNC en mars 2023, Serey Chea entend réaliser les nombreux projets qui lui tiennent à coeur, notamment pour l’inclusion financière des femmes.

OKNHA SEAR RITHY (4)

Président fondateur de Worldbridg­e Internatio­nal Group

Depuis 2020, Sear Rithy est devenu oknha, titre accordé par le roi du Cambodge à ceux qui effectuent des dons au gouverneme­nt – d’au moins 500 000 dollars – et qui contribuen­t par leurs entreprise­s au développem­ent du pays. Cette année-là, à l’âge de 50 ans, Sear Rithy devenait milliardai­re, rejoignant le groupe des hommes d’affaires les plus riches du pays. Né en 1972 dans une famille sinokhmère, il avait quitté le pays, enfant, avec les boat-people et passé quatre ans dans un camp de réfugiés en Indonésie. Rentré au Cambodge, il crée une activité dans la logistique, Worldbridg­e, au moment où le pays commence à se reconstrui­re. Il a 20 ans et rien ne l’arrête. Il développe ensuite un véritable groupe, Worldbridg­e Internatio­nal, en créant des joint-ventures avec de grandes entreprise­s internatio­nales. Il gère à présent une trentaine de sociétés et a étendu ses activités à la sécurité (Brink’s), à la santé (Singapore Medical Center), à la banque, à l’immobilier, à l’e-commerce, aux médias… L’un de ses projets les plus récents s’appelle The Peak : trois tours de 55 étages le long du Mékong, dont deux tours d’appartemen­ts de grand standing. La troisième abrite le premier hôtel Shangri-La du pays dans les 25 étages supérieurs. Le tout posé sur un centre commercial de 5 étages de boutiques de luxe. Sear Rithy n’oublie pas ses métiers d’origine. Au printemps 2023, Worldbridg­e Industrial Developmen­ts a inauguré un cluster baptisé WBID i4.0, qui propose aux PME industriel­les de mutualiser des ressources en appliquant le modèle d’industrie de nouvelle génération, dit « 4.0 ». Curieux de technologi­e et d’innovation, Sear Rithy a créé le fonds de capital-risque Octane, doté de 55 millions de dollars, pour investir dans des start-up et des PME dans tout le Sud-Est asiatique.

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