The Good Life

D’UNE RIVE À L’AUTRE

-

« Dans cinq ans, il y aura probableme­nt des immeubles ici, affirme Sry, notre guide. Tout aura changé. » Comme c’est déjà le cas aux abords de Phnom Penh, sur Koh Pich ou sur la péninsule qui sépare le Mékong de la rivière Tonlé Sap, l’urbanisati­on dévore les terres agricoles. À grande vitesse, la ville se métamorpho­se sous les yeux de ceux qui empruntent les ferrys. Un moyen de transport qui est aussi l’occasion d’une échappée de quelques heures vers un Cambodge rural, traditionn­el, où, il y a à peine quelques années, il n’y avait aucune route asphaltée. Après avoir passé le pont Chroy Changvar, il faut emprunter la route nationale 6 et prendre un premier ferry à Prek Leap vers Koh Dach, l’île de la soie. Cela fait longtemps qu’on n’y produit plus de soie ; en revanche, on la tisse toujours, à partir de fils provenant maintenant de Chine. Moins courante, la visite d’une fabrique artisanale de peau de tofu (la seule de l’île) où rien ne semble avoir bougé depuis des siècles (2). Chauffé au bois, le lait de soja est mis à bouillir dans des rangées de cuves, jusqu’à la formation d’une peau qui, au fur et à mesure, est soulevée et mise à sécher. Découpées en lanières, elles serviront à agrémenter des soupes. Il est temps d’attraper le second ferry, pris à Kbal Kaoh, afin de rejoindre la rive est du Mékong, à Puk Ruessei. C’est une autre promenade qui débute, via une route qui borde des champs de lotus ou de manguiers sous lesquels paissent de maigres vaches. Ici, il faut contourner une tente occupant la moitié de la route, destinée à accueillir un mariage ; là, une autre, noir et blanc, réservée à un rite funéraire bouddhiste. La chance est au rendez-vous : en arrivant à la pagode Svay Andet, une quinzaine de kilomètres plus loin, vers l’aval du Mékong, des villageois­es préparent la cérémonie honorant le Kuru (1), le maître spirituel du Lakhon Khol, cet art du théâtre masqué narrant la version khmère de l’épopée du Ramayana. Dans la salle des masques, une pancarte affiche fièrement que le Lakhon Khol est inscrit depuis 2018 sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco. Ce spectacle est une rareté, joué ici quelques fois seulement par an par de jeunes garçons portant les masques des protagonis­tes : Hanuman, le dieu singe, le démon Ravana et les géants qu’il faut affronter pour délivrer Sita. Certains des jeunes garçons font la sieste à même le sol, d’autres s’amusent à essayer les magnifique­s masques en papier mâché. Le retour vers Phnom Penh se fait en remontant vers l’amont du fleuve pour rejoindre le ferry d’Areiksart.

C’est là que se trouve une communauté de Vietnamien­s catholique­s, des pêcheurs logeant dans de précaires maisons sur pilotis. Les relations n’ont jamais été harmonieus­es entre Cambodgien­s et Vietnamien­s, dont des centaines de catholique­s ont trouvé refuge au Cambodge, entre 1858 et 1862, fuyant les persécutio­ns de l’empereur Tu Duc. Pourchassé­s et tués par le gouverneme­nt de la République khmère puis par les Khmers rouges, ils reviennent dans les années 90 comme main-d’oeuvre et constituen­t la quasi-majorité des catholique­s du Cambodge. La petite église bleue Marie-Reine-de-la-Paix est d’ailleurs devenue un lieu de pèlerinage, après que deux statues de la Vierge ont été trouvées au fond du fleuve par des pêcheurs en 2008 et 2012. En la quittant, on en est maintenant persuadés, cette communauté d’un autre temps installée à quelques minutes du centre-ville de Phnom Penh aura bientôt disparu, laissant place à de nouvelles constructi­ons.

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France