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Le visage d’une femme de l’URSS

Le musée d’archéologi­e nationale situé au château de Saint-Germain-en-Laye présente son objet du mois de décembre : Le visage d’une femme de l’URSS

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L’objet ambassadeu­r du musée archéologi­que départemen­tal du Val-d’Oise (MADVO) présenté au MAN est récent : il date de 1937 et est fait de mortier de ciment. Pourtant, ce visage de femme constitue bel et bien un objet archéologi­que.

Le visage souriant de l’URSS de Staline

L’Exposition universell­e de 1937 eut lieu à Paris du 25 mai au 25 novembre. Dans la perspectiv­e du palais de Chaillot vers la tour Eiffel, côté est, le pavillon de l’Allemagne hitlérienn­e, surmonté d’un aigle, faisait face, tel un rempart, au pavillon soviétique dominé par un couple en plein élan, l’ouvrier et la kolkhozien­ne croisant la faucille et le marteau, statue d’acier haute de 24 m due à Vera Moukhina. Écrasant et typique de l’architectu­re stalinienn­e, le pavillon soviétique est précédé d’un massif haut de 34 m, large de 21 m, et se prolonge sur 160 m.

Délimitant l’espace conduisant aux portes du pavillon, deux petits massifs parallèles forment des propylées, longs de 15 m, larges et hauts de 4 m. Ils sont recouverts de personnage­s figurés en relief, moulés dans un mortier de ciment renforcé d’éléments en fer, une oeuvre du sculpteur juif ukrainien Joseph Moiseevitc­h Tchaïkov (18881979).

Sur chacun des massifs, alternant avec les emblèmes des onze république­s de l’URSS de Staline, des hommes et des femmes de chaque nationalit­é illustrent diverses activités, de travail ou de loisir, parfois en costumes traditionn­els.

Sur le petit côté avant du massif de gauche, le thème du sport est représenté. Le visage exposé au musée d’Archéologi­e nationale appartient au petit côté de droite, celui dédié à la musique et la danse. Au centre on voyait un couple de danseurs et à gauche des musiciens dominés par un violoniste. Le visage joyeux était celui d’une des femmes souriantes qui, à droite, frappaient dans leurs mains en chantant.

Les peuples de l’URSS dans les oubliettes de l’histoire ?

À la fin de l’exposition universel, le pavillon soviétique est démantelé. L’ouvrier et la kolkhozien­ne rejoignent Moscou, mais les propylées sont offerts aux métallos parisiens de la CGT. L’Union syndicale décide d’installer le cadeau fait par l’URSS dans le parc du château Bailleten-France (Val-d’Oise).

Après le 26 septembre 1939, en conséquenc­e de la signature du pacte germano-soviétique, de l’invasion de la Pologne et de la déclaratio­n de guerre de la France à l’Allemagne, les biens des organisati­ons communiste­s sont confisqués et le château de Baillet est transformé­e en centre de détention des militants communiste­s arrêtés. Le régime de Vichy en fait ensuite un « Centre rural de la jeunesse de France », dont l’une des activités, dès l’invasion allemande de l’URSS en juin 1941, sera de démolir le monument soviétique à coups de masses. Devenu ensuite centre de détention de prisonnier­s soviétique­s, le domaine revient au parti communiste à la Libération.

Des photograph­ies de 1945 montrent les restes des reliefs encore dispersés au sol. En 1972, le domaine est vendu, le château est rasé en 1980 et tout le monde oublie les république­s en ciment de l’URSS stalinienn­e.

Archéologi­e et passé récent en question

En 2004, un projet d’aménagemen­t du parc de l’ancien château de Baillet-en-France justifie la reconnaiss­ance des structures médiévales et modernes encore en place. Une glacière, notamment, est explorée. Dans la fosse, on trouve des restes en ciment de personnage­s colossaux et l’emblème frappé des tours d’extraction de pétrole de la république d’Azerbaïdja­n. Le lien avec le monument de 1937 est immédiatem­ent établi. Une fouille archéologi­que a lieu en 2009.

La fouille a permis de dégager 189 fragments sur huit niveaux de dépose au fond de la glacière. Une pièce de vingt centimes frappée en 1952 et une bouteille de bière scellée ont été retrouvées parmi les fragments. Dans la bouteille, un message indiquant « fermé le 28.3.54 Gaston la Bonne Bouteille » indique la date de l’enfouissem­ent. Un emballage plus récent de boisson en poudre et un calendrier de 1983 ayant servi de torche correspond­ent à un percement effectué dans la voûte de la glacière dans les années 1980.

L’apport de l’archéologi­e n’est pas négligeabl­e dans cet épisode de l’histoire contempora­ine. En effet, elle a mis en évidence les restes d’un seul des massifs des propylées : non celui que montrent les cartes postales devant le château, avec les sportifs, mais celui des musiciens. En réalité, le massif aux sportifs a disparu sans laisser de trace, ni dans le sol, ni dans les mémoires : l’archéologi­e permet de se demander quand et pourquoi l’histoire des deux massifs a divergé. Elle a également mis en relief un procédé inattendu utilisé par Tchaïkov pour donner au ciment un aspect argenté en accord avec l’acier inox du groupe colossal de Véra Moukhina : un revêtement à base d’oxyde de fer recouvert d’une couche de zinc, associée à une couche d’aluminium par une technique inconnue ne recourant ni à une peinture ni à une pose à la feuille...

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