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Père poignardé par son fils : «On nous disait d’attendre le drame, il a eu lieu»

TÉMOIGNAGE — La mère du jeune homme qui a poignardé son père à Voisins-le-Bretonneux (Yvelines) a décidé de ne pas rester silencieus­e. Elle témoigne de l’enfer qu’elle vit pour faire soigner son garçon atteint de schizophré­nie.

- • F. D. ■ * Les prénoms ont été modifiés.

«Ce qui s’est passé, c’est comme pour les femmes battues. Il faut en arriver à un drame pour que ça bouge.» Le visage fatigué, la voix posée, son téléphone toujours à portée de main, Caroline* tente de suivre la procédure judiciaire enclenchée contre Benoît*.

Benoît c’est son fils de 20 ans. Benoît c’est aussi lui qui, dans la nuit du 22 au 23 janvier 2024, a poignardé son propre père dans la demeure familiale de Voisinsle-Bretonneux.

Très gravement blessé, Julien* a frôlé la mort. Il a été découvert par les secours, couvert de sang. Il est désormais hors de danger.

Mercredi 24 janvier, le jeune homme a été placé en détention provisoire derrière les murs de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. À l’isolement. « Au moins, là-bas, il ne fera de mal à personne. Et il sera peut-être enfin pris en charge correcteme­nt par un psychiatre. J’espère… »

Qu’on ne se méprenne pas. Caroline ne se réjouit pas de savoir son fils en prison. « Quoi qu’il fasse, je serai toujours là pour lui. Tout comme son père. Mais cette incarcérat­ion, c’est une pause pour toute la famille. C’est malheureux d’en arriver là. Mais cela fait des mois que l’on tire la sonnette d’alarme… Et que rien ne se passe. Tout ça à cause de la loi qui n’est pas adaptée à la maladie. »

La maladie de Benoît a un nom : la schizophré­nie affective. Des colères, du renfermeme­nt, de l’isolement, de la violence, des sentiments toujours à fleur de peau… Le tout est exacerbé par de mauvaises rencontres, de la prise de cannabis, des jours et des nuits devant des jeux vidéos. Porte close. Personne ne rentre dans sa chambre sous peine de faire abattre la foudre de Zeus sur la maisonnée.

«Mardi dernier, je leur ai dit : c’est fait. Son père est dans le coma.»

Pour Caroline, la vie est devenue un enfer lorsque le jeune homme a atteint sa majorité. Jusque là, elle et son mari pouvaient décider pour lui.

« Nous sommes entrés dans un tunnel de négociatio­ns, des stratagème­s pour l’amener à poursuivre des soins. Car légalement, nous avions perdu toute autorité médicale. »

En mars 2023, le jeune garçon se blesse à la main lors d’une énième colère. Pris en charge par les pompiers, il est transporté à Trappes. « Non sans difficulté, nous avons ensuite obtenu une place à l’unité psy de Mignot. Il a fallu quatre mois pour le stabiliser et trouver le traitement adapté. Lorsqu’il est sorti, il m’a dit qu’il revoyait la vie, les arbres, le soleil et qu’il nous aimait. »

Le soleil n’a pas brillé très longtemps. Sans suivi direct, Benoît renoue vite avec ses démons. Il décide de stopper son traitement.

Caroline appelle l’hôpital. « On m’a répondu qu’il allait décompense­r. Qu’il fallait attendre et revenir après. Au Centre médico-psychologi­que (CMP), on m’a dit qu’il fallait attendre qu’il décide de venir les voir. Ce qui peut être compliqué dans la mesure où un schizophrè­ne ne se pense pas malade… Il dit aux psys de lui foutre la paix. Et à chaque fois, on nous a répondu qu’il fallait attendre le passage à l’acte. Mardi dernier, je leur ai dit : c’est fait. Son père est dans le coma. »

«On ne peut pas l’obliger»

Caroline et son mari essayent d’imaginer toutes les solutions possibles. Une reconnaiss­ance de handicap pour déclencher une tutelle ? « Je n’ai eu aucun retour. Et je ne sais même pas pourquoi. Dans les unités psychiatri­ques, il n’y a pas de place. Et quand bien même il y en aurait, il est majeur. On ne peut pas l’obliger à y aller. Et ça, c’est la loi. »

Un coup d’oeil sur son téléphone… Peut-être des nouvelles de son avocate. Non. Juste un message qui concerne son fils. « Beaucoup de personnes nous ont dit : faites quelque chose! Ah oui! Et quoi? On a tout essayé. Pour l’administra­tion, le boulot a été fait. Et ce n’est plus de notre ressort comme il est majeur. Sauf que Benoît vit sous notre toit. Avec mon mari, nous le connaisson­s bien. Nous savons qu’il peut être aussi gentil que dangereux. Et je sais que beaucoup d’autres familles en France souffrent comme nous. Il faut nous écouter ! Il faut nous aider ! Il aurait fallu que nous puissions faire hospitalis­er Benoît, même majeur, avant le drame. »

«Il reste mon enfant»

Témoigner de tout cela n’a pas été une décision facile pour Caroline. « C’est surtout parce que je ne veux plus jamais que quelqu’un me dise qu’il faut attendre le passage à l’acte. Ce n’est ni une réponse ni une solution. »

Mis en examen, Benoît ne sait pas encore ce que la justice va retenir contre lui : une tentative d’homicide? Des violences aggravées ? Rien s’il n’est pas accessible à une sanction pénale ?

« On ne sait pas combien de temps ça va prendre. La maison est sous scellés. Personne ne peut y entrer. Mon état d’esprit ? Je ne peux pas lui pardonner, mais je ne peux pas lui en vouloir, car il n’a pas été pris en charge comme il fallait. Il a été abandonné par le système. Nous avons été abandonnés. Il restera toujours notre enfant. Et je pense que, malgré tout, il nous aime. Il aime ses parents. Quand la police l’a emmené, il m’a dit qu’il n’en pouvait plus. Il voulait même que je l’aide à s’habiller… Il reste mon enfant. »

« Tous les murs de la maison peuvent en témoigner. Benoît les a littéralem­ent défoncés. »

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