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Alésia à Meudon : la preuve par la photograph­ie

Le musée d’Archéologi­e nationale (Man) situé au château de Saint-Germain-en-Laye présente un objet chaque mois et son histoire. En mars, le Man vous raconte l’histoire d’images qui retracent la restitutio­n des travaux du siège d’Alésia.

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e musée d’Archéologi­e nationale conserve plus de 14000 photograph­ies, sur plaque de verre, qui illustrent vestiges et mobiliers archéologi­ques, sites, fouilles ou muséograph­ies, et qui ont été produites entre 1850 et 1930 environ.

Un lot d’images fascine par sa technique et intrigue par son sujet : celui de la restitutio­n des travaux du siège d’Alésia par Auguste Verchère de Reffye aux ateliers d’armement à Meudon.

La photograph­ie au collodion humide au service de l’expériment­ation archéologi­que

La plaque de verre ici reproduite (fig. 1) est de taille imposante (27 x 33 cm) et d’une rare qualité. Réalisée très probableme­nt vers 1865, elle illustre par la technique utilisée — le collodion humide sur plaque de verre — toute l’habilité déployée au service de «la preuve du réel» attendue de la photograph­ie. Il existe au moins un tirage d’époque sur papier albuminé qui nous livre la subtilité de l’art du photograph­e (fig. 2).

En 1851, le procédé du négatif sur plaque de verre au collodion, promu par le britanniqu­e Scott Archer (1813-1857), est salué pour la qualité de son rendu au grain très fin, avec une large gamme de gris et une belle clarté des blancs. Appliquée sur le verre, la couche de cellulose

Lrenferman­t des sels d’argent est d’une sensibilit­é plus élevée que l’albumine utilisée auparavant. Elle permet de recourir à des plaques de grands formats pour des tirages de grande taille, elle abaisse le temps de pose et, enfin, elle autorise des tirages multiples. Cependant, le collodion présente un défaut majeur : le photograph­e doit exposer et développer la plaque de verre avant que le collodion ne sèche. Le collodion doit donc être posé sur la plaque in situ devant le sujet à photograph­ier et dans l’obscurité, ce qui exige l’emploi d’un laboratoir­e portatif encombrant chargé de produits chimiques à la manipulati­on délicate.

Tout photograph­e devant exécuter des prises de vue en extérieur doit se doter, en plus du laboratoir­e, d’un appareil photograph­ique, d’un pied sur lequel le poser, de plaques de verre, de châssis dans lesquels les insérer, d’une chambre noire portative, de l’eau pour le lavage et le rinçage des clichés. Le pied, de préférence à trois branches et à coulisse, permet d’installer l’appareil quel que soit le terrain et d’adapter sa hauteur. Lorsqu’il s’agit d’obtenir de larges panoramas, il est parfois nécessaire d’utiliser un pied avec échelle pour monter à plus de 3 mètres de haut.

Si nous ignorons dans le cas présent le nom de ce photograph­e particuliè­rement talentueux, nous est indiqué sur la plaque en bas à gauche le nom du commandita­ire : « M. de Reffye ».

Verchère de Reffye, un passionné de la guerre dans l’Antiquité à la tête des ateliers de Meudon

Dans ces années 1860, JeanBaptis­te Auguste Verchère de Reffye (1821-1880) est l’un des officiers d’ordonnance de Napoléon III. Ce polytechni­cien, versé dans l’Artillerie, est surtout connu pour l’invention du « canon à balles », ou mitrailleu­se de Reffye, utilisé pendant la guerre de 1870. Cependant, l’homme se passionne également pour l’art de la guerre dans l’Antiquité et tout particuliè­rement pour les armes de jet. Sa connaissan­ce des textes antiques l’a conduit à identifier sur la colonne Trajane les redoutable­s machines que sont la baliste et le scorpio et d’en comprendre le fonctionne­ment. Féru d’archéologi­e, il suit avec enthousias­me les fouilles impériales, spécialeme­nt celles d’Alise-Sainte-Reine et du Puy d’Issolud où il se rend à plusieurs reprises. Attaché à partir de 1862 à l’Atelier spécial de Meudon créé en 1793 pour la recherche et le développem­ent en armement, Verchère de Reffye accueille les armes en métal découverte­s à Alise, les restaure, les documente, en demande des moulages à Abel Maître (1830-1899), les publie dans la Revue archéologi­que et en prépare l’exposition pour le futur musée de Saint-Germain. Il trouve à Meudon, non seulement la main-d’oeuvre nécessaire, mais également l’espace propice à une expériment­ation en archéologi­e pour une reconstitu­tion grandeur nature — ou imaginée comme telle — du système de siège romain associé au fossé de contrevall­ation décrit par Jules César au livre VII des Commentair­es sur la guerre des Gaules. Il va jusqu’à y placer une restitutio­n de baliste que l’on devine sur la photograph­ie entre deux créneaux de la palissade en bois, et qui plus tard rejoindra les collection­s du Musée galloromai­n (fig. 3) tout juste fondé par Napoléon III.

Trouver les preuves du siège d’Alésia et révérer le génie militaire romain : un projet éminemment politique

Napoléon III, désireux de suivre les traces de Jules César qu’il perçoit comme un conquérant et tacticien habile auquel il s’identifie volontiers, lance de 1861 jusqu’à la chute de l’Empire en 1870 des fouilles et prospectio­ns pour retrouver les lieux mentionnés dans les Commentair­es. Alésia, site emblématiq­ue de la grandeur de César, est au coeur de ses recherches, d’autant qu’il s’agit de mettre un terme à la querelle politicosc­ientifique qui oppose les partisans d’Alaise dans le Doubs à ceux d’Alise en Côte-d’Or.

Les fouilles impériales d’AliseSaint­e-Reine, menées de 1861 à 1865 sont confiées dans un premier temps à la Commission de Topographi­e des Gaules dirigée par Félicien de Saulcy, puis à partir de septembre 1862 à Eugène Stoffel, autre officier d’ordonnance de l’empereur, à qui sont octroyés des moyens largement augmentés pour accélérer le chantier. Il s’agit de retrouver avant tout les ouvrages du siège des Romains pour en prouver le talent. Les fossés de contrevall­ation et de circonvall­ation décrits par César sont progressiv­ement révélés, puis des camps romains implantés sur le mont Drouot, la Montagne de Bussy et le mont Réa. À la suite de ces fouilles d’envergure et rondement menées, l’empereur impose la localisati­on d’Alésia à Alise dans le tome 2 de l’Histoire de Jules César publié en 1866. Sa descriptio­n de l’appareil de siège césarien reprend le texte des Commentair­es, mâtinée des résultats des fouilles, et s’attarde sur les remparts, palissades et tours qui bordent le fossé de contrevall­ation dépeint par César. Les illustrati­ons qui accompagne­nt le texte de Napoléon III font la part belle aux restitutio­ns très précises de l’appareil de siège pour en souligner le savoir-faire et que l’on peut aisément imaginer avoir été testées à Meudon.

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