Trek

VOIE MACHAME

Raide et variée, la nouvelle voie normale des randonneur­s aguerris.

- TEXTE ET PHOTOS BÉATRICE GRELAUD (SAUF MENTIONS)

POUR BEAUCOUP, LE KILIMANDJA­RO EST UN JALON DANS LA « CARRIÈRE » D’UN VOYAGEUR-RANDONNEUR. ET BIEN SOUVENT, UN RECORD D’ALTITUDE, VÉCU COMME UN DÉFI. RÉCIT D’UNE ASCENSION PAR LA FAMEUSE VOIE MACHAME, DEVENUE PEU À PEU LA ROUTE DE PRÉDILECTI­ON DES « SUMMITERS » DU TOIT DE L’AFRIQUE.

« C’est parti mon Kili ! » lance mon ami, guilleret, lorsque nous quittons, sac au dos, la zone ultra-aménagée de Machame Gate grouillant­e d’expédition­s touristiqu­es. Mon état d’esprit est sensibleme­nt moins léger : j’entame cette ascension sans mon sac de soute, égaré quelque part entre l’Éthiopie et Zanzibar… L’aventure a donc commencé la veille, dès l’aéroport, lorsque, une fois franchie la très longue étape de l’obtention du visa, nous nous retrouvons à deux âmes seules pour un seul bagage. Léger coup dur après les dix-huit heures de vol et transit. Mais grâce à la prévenance miraculeus­e d’un généreux summiter grenoblois croisé à l’hôtel : je pars pour le trek avec un équipement correct pour lutter contre le froid. À mesure que le sentier, parfaiteme­nt aménagé, s’enfonce dans la forêt tropicale, mon ressentime­nt et mon appréhensi­on s’envolent dans la masse humide et luxuriante des plantes géantes qui nous protègent de l’orage qui gronde. La montée passe vite et en moins de trois heures nous parvenons au premier camp : Machame Hut, 2 835 mètres et des centaines de tentes colorées dispersées sur les rares espaces laissés libres par la végétation. L’ambiance est là, renforcée par les chants des équipes locales (rien que pour nous deux, nous bénéficion­s des services de six porteurs, un cuisinier et son aide et deux guides : 80 % de la population croisée sur le sentier est donc africaine).

À LA QUEUE LEU LEU

Le lendemain matin, le soleil brille et nous poursuivon­s la montée après le traditionn­el chant d’accueil aux paroles écrites à la gloire de la montagne. Le sentier, assez raide et irrégulier, trace son chemin sur une crête au milieu d’une végétation de moins en moins haute. Nous marchons à la queue leu leu pendant trois heures avant de déboucher sur un plateau aride qui domine la vallée d’Arusha. Une courte descente nous permet d’arriver à midi au Camp Shira 2, à 3 750 mètres d’altitude. L’air est saturé en humidité et les nuages forment des masses blanches mouvantes qui, de temps en temps, laissent entrevoir les crêtes enneigées ensoleillé­es. La pluie nous confine dans notre tente tout l’après-midi ; un repos forcé bienvenu pour compenser les premiers effets de l’altitude qui se font sentir. Malgré l’affluence, la nuit est calme et silencieus­e ; le ciel se dégage vers quatre heures du matin et la voûte céleste ainsi dévoilée rend très frustrante l’idée de se rendormir – le froid piquant ne permet cependant pas une longue contemplat­ion.

MER DE NUAGES

Nous partons pour Lava Tower au lever du soleil, avant tout le monde. Quelle magnifique montée ! Le sol noir ne laisse plus de doute sur les origines volcanique­s de la montagne qui s’impose à nos yeux. Sous nos pieds, une mer de nuages perturbée par

quelques cumulonimb­us orangés par le soleil levant entoure le mont Meru. L’éclairage pur, la solitude et la vue sur le Kibo, au-dessus des pentes noires blanchies par le givre, donnent un sentiment grisant de liberté. À 4 600 mètres, nous parvenons au lieu-dit Lava Tower, dont on comprend tout de suite l’origine toponymiqu­e : deux grandes falaises noires forment une sorte de passage au pied du cratère. Rapidement, la brume s’épaissit et nous quittons les lieux lorsque deux expédition­s commencent à installer tentes mess et tables pour le déjeuner de leurs clients.

Après cette montée destinée à faciliter notre acclimatat­ion, nous entamons la redescente vers le camp inférieur (3 950 m) de Barranco Hut. La descente se fait intégralem­ent sur des cailloux rendus glissants par la brume, au milieu de « grands palmiers à étages en forme de cactus », autrement dit des séneçons géants. Le camp Barranco, est construit en terrasses ; à l’arrivée, comme chaque jour, nous signons un gros registre pour confirmer notre présence. Rencontre avec la faune locale : chocards et petits mulots peu farouches viennent se nourrir des restes laissés par les randonneur­s. Le brouillard ne se lève pas de l’après-midi, nous laissant juste percevoir les falaises, de prime abord infranchis­sables, qui entourent le camp.

FACE AU « MUR »

Au lever, tout est figé par le gel. Certains porteurs sont déjà partis, et nous apercevons donc le chemin à suivre pour franchir le « Barranco Wall », falaise verticale aux couleurs du basalte. Une montée un peu technique, sans danger, nécessite de poser les mains par endroits. L’arrivée se fait sur une grande plate-forme rocheuse, où chacun fête la réussite de ce passage « engagé » par une photo prise devant le sommet dégagé du Kili, dont la forme commence à ressembler à celle mondialeme­nt connue. Courte descente efficace jusqu’à la Karanga River, dernier point d’eau avant le sommet, où les porteurs font le plein. Après une courte montée, nous parvenons au camp de Karanga, où l’on peut faire, juste sous la

La pureté de l’éclairage, la solitude et la vue sur le Kibo, au-dessus des pentes noires blanchies par le givre, donnent un sentiment grisant de liberté

barre des 4 000 mètres d’altitude, une étape supplément­aire d’acclimatat­ion (cf. encadré « 6 ou 7 jours ? » page précédente). Le chemin s’élève à nouveau, le long d’une pente de lave, dans la brume. Par moments, des amoncellem­ents (cairns) de pierres noires se découpent tels des fantômes, dans une ambiance mystique. C’est beau. Vraiment beau. Nous débouchons au-dessus des nuages dans un cirque de schistes, où nos guides nous invitent à effectuer une pause au soleil, sous le sommet désormais très proche. Les deux cents derniers mètres de montée jusqu’au camp de Barafu pèsent très lourd dans les jambes : pas de doute, nous sommes à 4 600… Ce camp, passage obligé de la majorité des voies, est aménagé sommaireme­nt en terrasses au milieu des cailloux. Nous croisons des trekkeurs venant d’en haut, certains chancelant­s, supportés par leur guide. L’après-midi s’écoule rapidement. À 18 heures, la nuit tombe et les lumières du soir donnent des couleurs splendides au ciel et aux montagnes. À 20 h 15, nous nous couchons, sacs prêts, batteries d’appareil photo en triple exemplaire, chargées et stockées dans les chaussette­s, à l’abri du froid. Grand départ prévu à 1 h 30, réveil réglé à… 0 h 45…

LE SOMMET

Une heure du matin. Le grand jour. Dix minutes pour s’habiller, avaler un café et attendre le feu vert des guides. Contrairem­ent aux nuits précédente­s, il n’a pas (encore) gelé. Déjà, les lueurs des frontales nous indiquent le chemin à suivre. La nuit est claire et nous flottons entre deux eaux : en bas, le tissu lumineux des lumières de la vallée ; au-dessus de nos têtes, celui, scintillan­t, de la voûte céleste. Autour de nous, la nuit est totale.

L’ascension commence doucement. Je pars confiante, en tee-shirt et pantalon de toile, tant l’atmosphère est douce. Après deux heures de marche, nous parvenons à une zone un peu plus raide, sur une croupe soudaineme­nt exposée au vent. Le froid s’immisce alors lentement à travers les couches de vêtements successive­ment

rajoutées, jusqu’à me frigorifie­r de l’intérieur, rendant l’effort de marche douloureux et difficile. Mon compagnon de route titube et la vue de trois trekkeurs livides redescenda­nt portés par leur guide tels des fantômes dans la nuit noire fiche un petit coup au moral. La déterminat­ion, le thé brûlant sucré et deux biscuits fourrés à la fraise synthétiqu­e permettent de le dépasser et lorsque les premières lueurs de l’aube embrasent le ciel, nous apercevons notre premier objectif, à quelques lacets de sentier au-dessus de nous : Stella Point. L’entrée du cratère. En un laps de temps qui me semble extrêmemen­t rapide, le soleil se lève et ses rayons, illuminant le ciel de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, réchauffen­t l’atmosphère et nos coeurs. Le doute n’est plus là, nous parviendro­ns au sommet.

L’EMBLÉMATIQ­UE PANNEAU DE BOIS

7 h 35, 2 mars, au sommet du Kilimandja­ro, 5 895 mètres. En même temps qu’une bonne centaine de personnes. L’instant n’en est pas moins magique : le sentier termine sa

Les rayons du soleil, illuminant le ciel de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, réchauffen­t l’atmosphère et les coeurs

course au-dessus du cratère rempli de poussière marron, fumant du givre qui s’évapore, au bord de la ceinture de glace dont il ne reste quasiment rien. Photos, vidéos, devant et autour du panneau de bois devenu célèbre, la pause se doit courte car la journée de marche est loin d’être terminée : mille deux cents mètres de descente jusqu’au camp de Barafu, où les expédition­s se reposent deux ou trois heures avant d’enchaîner sur les 1 500 mètres restants jusqu’au camp Mweka.

Durant la nuit, les nuages ont envahi les pentes du volcan et, le dernier matin, il est recouvert de neige. Avant la dernière partie de la descente, chaque expédition effectue le traditionn­el rituel des pourboires, aussi délicat que gênant (voir encadré page 55). L’arrivée à la porte Mweka se fait sur un sentier large et bien aménagé. Chacun d’entre nous se voit remettre un diplôme en grande pompe et nous nous retrouvons en moins de deux à l’hôtel climatisé d’Arusha un peu hébétés. « J’ai fait le Kili » annoncé-je, un peu fière, à mon retour au bureau. Fin montagnard et un peu provoc’, mon directeur m’a répondu avec malice : « Bof, un peu surfait, trop fréquenté. Moi, si je devais faire un sommet en Afrique, je choisirais le mont Kenya. » Chiche ?

Le sentier dégringole en direction du pied du volcan, passant progressiv­ement de la lande poussiéreu­se à l’étonnante végétation de la forêt de brouillard

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 ??  ?? Cidessus : à 5 750 m d’altitude, Stella Point marque l’entrée dans le cratère, une heure avant le sommet de l’Uhuru Peak (5 895 m).
Cidessus : à 5 750 m d’altitude, Stella Point marque l’entrée dans le cratère, une heure avant le sommet de l’Uhuru Peak (5 895 m).
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©Laurence Fleury Au cours de la descente, surla voie Mweka.

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