CONQUÉRANT DE L’INUTILE
Au jour près quasiment, nous fêtons cette année un anniversaire passé complètement inaperçu dans les médias. En octobre 1R20, Fernand de Magellan ne dispose plus que de quatre bateaux sur les cinq qui composent sa flotte. Le Santiago a fait naufrage en mai 1R19, et la côte sudJaméricaine s’enfonce inexorablement vers les hautes latitudes. L’espoir né dans la baie du Rio de la Plata a fait long feu. Si passage il y a, il est encore plus au sud. Et c’est le 21 octobre que le navigateur portugais passé à la solde de la Couronne espagnole aperçoit un cap marquant visiblement l’entrée d’un détroit: il le baptisera cap Virgenes. De péripétie en incertiJ tude, Magellan ne mettra que cinq semaines pour déboucher, le 27 novembre de la même année, au niveau du cap Deseado (cap Désir), face à un nouvel océan, le faussement calme Pacifique.
On pourrait penser que cette découverte et que ce premier tour du monde apportèrent la preuve que la Terre était ronde. Il n’en fut rien. La fameuse sentence E pur si muove ! ne fut prononcée par Galilée qu’en
16PP. Il faudra même attendre
1728, et l’astronome britannique
James Bradley, pour que soit prouvée scientifiqueJ ment, par l’explication de « l’aberration de la lumière », la rotation de la Terre autour du Soleil. On pourrait penser également que cette nouvelle route maritime bouleverserait les échanges comJ merciaux. Las! Trop au sud pour être réellement pertinent, le détroit de Magellan fut supplanté, un siècle plus tard, par le passage du cap Horn, sans doute plus dangereux mais également moins comJ plexe pour l’orientation, avant d’être définitiveJ ment ringardisé par le canal de Panama, au début du XXe siècle.
Que resteJtJil de Magellan, alors, dont nous oublions aujourd’hui de célébrer l’anniversaire de la découJ verte du détroit éponyme ? Il m’en coûte de le dire, mais la réponse avoisine le néant. D’une manière générale, le genre humain s’illustre par sa propenJ sion à oublier son histoire, et à ne tirer aucune leçon du passé. Oublier l’indispensable, et célébrer l’inuJ tile ? Raison de plus pour saluer le demiJmillénaire de ce qui restera l’une des plus grandes découvertes de l’histoire de l’exploration. Quand
bien même elle n’aura servi à rien.
ANTHONY NICOLAZZI