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SUR LES PAS DES HUGUENOTS

Chemins d’histoire en Dauphiné

- Texte : Sylvain Bazin

Le GR 965, nous mène sur le chemin de l’exil emprunté par les Huguenots du Dauphiné au XVIIe siècle. Un itinéraire qui résonne de l’histoire tourmentée de l’Europe et de ses migrations, tout en nous plongeant dans la douce contemplat­ion des massifs.

Sur les pas des Huguenots est un sentier possédant un fort intérêt touristiqu­e et offrant des paysages naturels vraiment attrayant. Pourtant, c’est bien le souvenir d’un chemin de souffrance, celui d’un exil subi et périlleux qu’il célèbre. Ce sentier, labellisé « chemin culturel européen », à l’instar des chemins de Saint-Jacques, suit en effet au plus près le tracé de l’exil des Huguenots dauphinois vers la Suisse et l’Allemagne, déclenché par la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et qui dura cinq ans. Plusieurs variantes existent, qui reprennent les itinéraire­s des exils des protestant­s vaudois et qui s’exilent également par Genève, la plus proche ville protestant­e à l’étranger de l’époque. Nombreux sont ceux qui poursuivir­ent leur marche vers l’exil jusqu’en Allemagne.

DRÔME PROVENÇALE

C’est donc le souvenir de ces exilés, de ces migrants qui guide nos pas, dévolus heureuseme­nt cette fois au simple et doux loisir de la randonnée, sur ce sentier labellisé GR965 par la FFRandonne­e. Malgré la beauté remarquabl­e du parcours, les traces de cet épisode tragique sont présentes sur l’itinéraire. Ainsi, le très pittoresqu­e village du Poët-Laval, qui marque le départ du sentier, dont on admire le site et les ruines des remparts et du château de Hospitalie­rs, est aussi un témoignage des heures tragiques des guerres de religions. Sa chapelle, au beau clocher, a ainsi été très endommagée pendant ces heures sombres. Si le temple protestant des lieux fut l’un des seuls à rester debout après la révocation de l’édit de Nantes, c’est parce qu’il fut reconverti dès 1685 en hôtel de ville.

Néanmoins, c’est surtout la sereine beauté des lieux qui nous enchante aujourd’hui, tout comme berceront nos pas les premiers sentiers sur les collines de la Drôme provençale, puis les premiers panoramas majestueux sur le Vercors, ponctués par la traversée de villages aux architectu­res romanes. Et la suite du parcours offre un panel extraordin­aire de vues sur les massifs, que l’on frôle ou on traverse en douceur, à mi-pente. Ainsi, après le Vercors, le sentier des Huguenots suit la crête de la Chartreuse, avec des vues sur la majestueus­e chaîne de Belledonne en face. On rejoint ensuite la vallée de Chambéry en suivant la Leysse puis les rives majestueus­es du lac du Bourget.

MIGRANTS DU XVIIE SIÈCLE

Alors oui, on oublie vite, en marchant sur ce si beau et agréable sentier, le poids de l’histoire et la tragédie vécue, il y a un peu plus de trois cent ans, par ceux qui fuyaient leur pays, la France, vers des terres d’accueil où leur influence fut grande

car l’accueil fut bon. On ne peut totalement laisser de côté, pour n’apprécier que l’expérience de la marche volontaire­ment et librement décidée, ce que ces migrants du XVIIe siècle ont enduré. Non pas comme des pèlerins, marchant pour affermir leur foi, mais bien comme des persécutés, marchant pour conserver la leur. Un effort de pensée peut nous faire apprécier le fait que ces Huguenots reçurent un bon accueil à leurs arrivées, notamment en Prusse, où ils participèr­ent grandement au développem­ent économique, par exemple à Francfort ou à Berlin. Dans la capitale de l’Allemagne actuelle, on comptait ainsi près de cinq mille Français pour vingt mille habitants en tout en 1687! Et bien entendu, l’influence culturelle venues de l’Hexagone était alors très forte. La montée du sentiment nationalis­te allemand tentera d’effacer les traces de cette influence. Bien sûr, nos pensées iront aussi vers les peines actuelles des migrants contempora­ins, qui franchisse­nt aussi les Alpes pour un avenir meilleur. Ce qui n’empêchera pas, devant ces grandes perspectiv­es ouvertes et ces panoramas, d’apprécier à fond notre liberté retrouvée après ces confinemen­ts.

ITINÉRAIRE­S DE FOI

Comme un symbole, lorsque l’on marche sur les rives du lac du Bourget, on est aussi, à contresens, sur le parcours du chemin de Saint-Jacques de la voie de Genève. Chacun sa direction donc, vers le sud pour les pèlerins catholique­s du Moyen-Âge, vers le nord pour les candidats à l’exil protestant­s du XVIIIe siècle. Mais sur ces deux tracés réunis ici, on sent la marque de l’histoire de l’Europe, unie dans ces itinéraire­s de foi ou de peines bien au-delà des frontières. Ces dernières n’ont rien d’immuables, au contraire des sentiers et des itinéraire­s qui affrontent le temps par delà les époques, de l’Antiquité à nos routes contempora­ines, en dessinant une géographie de lignes et de circulatio­ns qui plaident assurément pour un héritage et une histoire commune, même dans les tragédies. Alors oui, cette trace des Huguenots est bien un chemin d’histoire, qui nous fait réfléchir, tout en nous apportant la joie sensible du bonheur de marcher librement, au pied des Alpes et à travers une Europe en paix.

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Matheysine (Isère).
© Gillou7 - stock.adobe.com Les lac de Laffrey, en Matheysine (Isère).
 ?? © Thomas - stock.adobe.com ?? Sur les pentes de la dent de Crolles, en Chartreuse.
© Thomas - stock.adobe.com Sur les pentes de la dent de Crolles, en Chartreuse.

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