Trek

PAYS BASQUE

Le Haute Soule

- Texte et photos : Volodia Petropavlo­vsky

L’aube est à peine levée mais le groupe est déjà à pied d’oeuvre, descendant d’un pas forcé l’abrupt relief qui domine la petite commune de Sainte-Engrâce. Coup d’oeil en arrière : dans le faisceau de la frontale qui éclaire péniblemen­t un petit périmètre et ne permet pas de déceler les bosses et trous du versant herbeux, des centaines de paires d’yeux se rapprochen­t dans un brouhaha de cloches et de bêlements. La transhuman­ce d’automne, celle qui ramène les bêtes au bercail à l’approche du froid, vient de débuter. Trois heures de cavalcade à canaliser et freiner les ardeurs des brebis emportées dans la ferveur du troupeau. Espacés en ligne, les bergers bloquent les tentatives de dépassemen­t des bêtes en les effrayant et, au besoin, en les rabrouant d’une tape de bâton sur le crâne. Rapidement, les hautes estives rasées laissent place à une forêt de feuillus à travers laquelle une piste serpente en lacets. Resserré aux seules largeurs du chemin, le troupeau bêle plus fort encore. « Elles savent qu’on rentre, elles sont excitées », lâche l’éleveur qui ouvre la voie. Au village, les voitures se rangent sur le bas-côté et les promeneurs dégainent leurs téléphones. La transhuman­ce est

un petit événement qui n’a cependant rien du folklore : dans cette région adossée aux majestueus­es Pyrénées, la montagne est humanisée ou n’est rien. Coeur battant d’un monde pastoral encore vivace, la province voit ses hauteurs parsemées d’estives qui balisent un territoire entretenu mais pas aseptisé. Si des sentiers majeurs, comme le fameux GR10, parcourent la Haute-Soule, une multitude de chemins de traverse aussi anciens que confidenti­els, la parsèment en tous sens.

BASQUE PAR NATURE

Les puristes argueront que la Soule est le vrai Pays basque, le seul qui a su garder son caractère en refusant de céder aux sirènes du tourisme. S’il existe sans nul doute mille et une interpréta­tions de ce qui est authentiqu­e et ne l’est pas, force est de constater que ses 854 km2 sont, d’un point de vue géographiq­ue, sur les marges d’un territoire lui-même à part. À l’extrême est de l’Euskadi, la Soule est la plus petite des sept provinces officielle­s du Pays basque, qui compte le Labourd et la Basse-Navarre en France ainsi que la Biscaye, le Guipuscoa, l’Alava et la Navarre côté espagnol. La Haute-Soule, pendant véritablem­ent montagnard de la province, semble encore plus isolée avec ses petites routes, ses communes faiblement peuplées et ses maisons aux épais murs en pierraille coiffés d’un toit d’ardoise. Porte d’entrée du territoire, Licq-Atherey, deux cents habitants et

une renommée certaine dans le microcosme des pêcheurs de truite, sera notre point de départ pour une itinérance à la carte entre les reliefs souletins. S’élevant rapidement entre les sous-bois, le sentier s’incline sévèrement avant d’atteindre les premiers replats annonciate­urs de la crête séparant Licq de Sainte-Engrâce. En haut, c’est un double panorama qui s’affiche en grand dans une dualité opposant le Béarn, derrière nous, à la Haute-Soule vers laquelle nous marchons. C’est là un point crucial de l’identité locale : un Souletin n’est pas un Béarnais et vice-versa. Depuis les abords du pic d’Ignoutze, la redescente sur SainteEngr­âce s’effectue via un sentier forestier, puis à travers les prés peuplés à cette époque de l’année par quelques troupeaux de vaches tranquille­s. À Sainte-Engrâce, quelques randonneur­s reprennent des forces, attablés à l’auberge de la famille Burguburu, pur produit du Pays basque avec un accent marqué et un franc-parler indéboulon­nable. En cet été post-confinemen­t (le premier, celui du printemps 2020), les touristes sont revenus en Pays basque. De l’avis des hébergeurs, la fréquentat­ion est au rendez-vous et le besoin de nature, de calme et de sérénité, une nécessité. Nous ne nous attardons pas davantage : demain, avant même que l’aube ne soit levée, la transhuman­ce commencera. Il nous faudra monter au cayolar (terme local pour désigner un abri de berger en pierre, au confort généraleme­nt très

sommaire), repérer le grand troupeau sur le plateau et le mener à pied jusqu’au fond de la vallée. Une activité séculaire dans ce territoire profondéme­nt rural.

« RETIREZ CET OURS »

De Sainte-Engrâce, le GR10 chemine jusqu’au village de Larrau, en passant par la célèbre passerelle d’Holzarte, pont suspendu à 180 m au-dessus du vide. Symbole de la surfréquen­tation naissante ou hasard malheureux ? Récemment, un éboulement a fait une victime et conduit les autorités à fermer temporaire­ment le secteur. Nous partirons directemen­t pour Larrau, petit village montagnard à l’architectu­re traditionn­elle en ardoise fendue, niché au pied du pic d’Orhy et recroquevi­llé autour de son fronton et de son église, deux bâtiments indissocia­bles de l’âme basque. À l’entrée, un panneau surprenant pour qui n’est pas familier des enjeux locaux : « Retirez cet ours slovène destructeu­r de notre espace vital ». Parmi les éleveurs et, plus généraleme­nt, la population locale, la réintroduc­tion de l’ours dans les Pyrénées ne fait pas l’unanimité. Si le sujet est botté en touche par les bergers questionné­s, il ne fait pas vraiment de doute. L’hostilité à l’égard d’un animal coupable de prédation ou d’apeurement des troupeaux est récurrente. « L’arrivée d’un ours rajoute de la pression sur le monde paysan. Les bergers n’ont pas l’impression d’être entendus. Ils n’ont pas été consultés, cela s’est fait au niveau européen sans prendre compte des réalités locales », analyse Pierre Etchmaïté, qui tient l’hôtel-restaurant éponyme. Quelques

mois auparavant, trois cents éleveurs s’étaient réunis dans le trinquet (terrain de pelote) du village pour demander le retrait immédiat de l’ourse Claverina, introduite l’an passé et suspectée d’être responsabl­e de la mort de brebis. Pour Robert Larrandabu­ru, guide de haute montagne souletin et vainqueur de l’Everest, le débat mené autour de l’ours sans concertati­on préalable est le symbole d’un centralism­e malvenu. Le personnage, qui se définit comme « d’abord basque, puis européen », demeure profondéme­nt attaché à cette région et à ses valeurs. « Je suis très optimiste pour la Soule, car c’est un territoire qui se redynamise. Les jeunes reviennent et se retroussen­t les manches pour mettre en place des initiative­s locales », déclare-t-il. De l’avis de Robert Larrandabu­ru, « ce coin du Pays Basque est préservé du tourisme de masse. Avec le déconfinem­ent, les gens ont déferlé d’un peu partout. Ils sont les bienvenus, mais ils ont aussi le devoir de respecter la nature ».

RENDEZ-VOUS EN TERRE INCONNUE

Si la Soule est (relativeme­nt) méconnue, elle n’en reste pas moins un véritable trésor environnem­ental. Au GR10 s’ajoutent une myriade de sentiers adjacents qui vont nous permettre, jour après jours, de découvrir cette Soule plus secrète. Des chemins réaménagés par le guide pendant le premier confinemen­t, ceux qu’empruntaie­nt les « anciens » et ceux qu’utilisent toujours les bergers du coin. Un replat, une crête, une montée

puis un col : l’itinérance est ponctuée de chevaux sauvages et de panoramas grandioses sur les hauteurs souletines, béarnaises ou navarraise­s, baignées des lumières adoucies de l’automne. Après le col d’Organbidex­ka, connu localement pour avoir vu son droit de chasse repris aux chasseurs de palombes par la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux), les alentours des chalets d’Iraty offrent une étape toute en beauté. Accolée aux chalets, la forêt primaire d’Iraty se déroule sur des milliers d’hectares transfront­aliers, partagés en France et Espagne. Au soir, dans l’astre déclinant, les versants deviennent la caisse de résonance des cerfs qui brament de toutes leurs cordes vocales. De petites taches mouvantes sur les crêtes, observable­s à l’affût derrière une paire de jumelles. Les cris rauques et puissants retentiron­t jusqu’à la nuit, donnant à ces bois des allures d’édens sauvages.

Le pic d’Orhy, premier « 2000 » des Pyrénées, sera l’ultime étape de cette itinérance à travers l’Euskadi des reliefs. Du haut de ses 2 017 m, il s’extrait de la ligne de crête en toisant la frontière espagnole. Son ascension est aisée malgré la pluie battante. Au sommet, la barrière de nuages se découvre un instant et laisse entrevoir les courbes tachetées de contrastes. Faut-il nécessaire­ment partir loin pour voyager ? « Que ce soit au Népal ou dans l’Atlas, les grands pays qui se partagent le trek autour du monde ont en commun d’être habités par des bergers. Ce sont tous ces gens qui font vivre la montagne », résume Robert Larrandabu­ru. Nous nous quitterons pour de bon quelques heures plus tard, alors que le reportage touche à sa fin. Quelques jours après nos échanges, Robert emmènera l’acteur Ahmed Sylla arpenter les mêmes chemins et lui raconter sa Soule natale avec la même passion. Deux mondes se rencontrer­ont, dans un moment immortalis­é par la caméra de France Télévision­s pour une émission de voyage. Son nom ? « Rendez-vous en terre inconnue ». La Soule serait-elle devenue le nouveau bout du monde ?

« Je suis très optimiste pour la Soule, car c’est un territoire qui se redynamise »

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Après Licq-Athérey commence la Haute-Soule, un territoire de bergers où le poids des traditions rurales demeure vivace. En arrière-plan, le pic d’Orhy
(2 017 m), à la frontière espagnole.
PAYS BASQUE HAUTE-SOULE Après Licq-Athérey commence la Haute-Soule, un territoire de bergers où le poids des traditions rurales demeure vivace. En arrière-plan, le pic d’Orhy (2 017 m), à la frontière espagnole.
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Chaque automne, des milliers de
brebis redescende­nt des estives, mobilisant dès l’aube les bergers
qui guident les troupeaux.
PAYS BASQUE HAUTE-SOULE Chaque automne, des milliers de brebis redescende­nt des estives, mobilisant dès l’aube les bergers qui guident les troupeaux.
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Malgré une affluence estivale importante, la passerelle d’Holtzarte est un incontourn­able de la Soule. © Tolo - stock. adobe.com
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Aux abords du pic des Escaliers (1 472 m), la douceur et le calme des dernières lumières sont rompus par le brame vigoureux des cerfs, dont les silhouette­s se détachent furtivemen­t sur les crêtes forestière­s.
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En bas : comme partout en Pays basque, chaque village possède son fronton, espace de jeu de l’ancestrale pelote.
En haut : l’art funéraire basque n’est pas un simple ornement : les tombes discoïdale­s sont un marqueur identitair­e qui combine motifs religieux, végétaux, figures humaines ou représenta­tions de la vie quotidienn­e. En bas : comme partout en Pays basque, chaque village possède son fronton, espace de jeu de l’ancestrale pelote.
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À droite : d’origine très ancienne, les pottoks sont des poneys évoluant en semi-liberté dans les montagnes basques. Il est fréquent d’en croiser sur le chemin.
Robert Larrandabu­ru est guide de haute montagne, vainqueur de l’Everest et de deux autres 8 000. Il se définit comme « Basque, puis européen » et reste profondéme­nt attaché à la Soule. À droite : d’origine très ancienne, les pottoks sont des poneys évoluant en semi-liberté dans les montagnes basques. Il est fréquent d’en croiser sur le chemin.
 ??  ?? Un enchevêtre­ment de collines, de forêts et de rivières : la Haute-Soule se découvre avant tout par son versant nature.
Un enchevêtre­ment de collines, de forêts et de rivières : la Haute-Soule se découvre avant tout par son versant nature.
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