Trek

Vágar, de Bøur à Gásadalur

APRÈS DISSIPATIO­N DES BRUMES MATINALES...

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Au menu de cette balade qui se déroule à 6 km à peine de l’aéroport, une pente raide comme du jus de planche, des moutons pensifs, un soupçon de soleil le tout arrosé d’une bonne lampée de brouillard.

Les brochures d’agences de voyage, qui savent toujours envisager les choses du bon côté, parlent de fascinatin­g fog. Soit. Quelques nuées brumeuses courant le long des falaises et mêlant au lointain la mer et le ciel en un rêve grisâtre peuvent émoustille­r un moment poètes et contemplat­ifs de bonne volonté. Mais au bout de deux jours d’une purée de pois passant tous les paysages à l’estampe d’une cataracte parvenue au stade terminal, la magie du brouillard perd un peu de son charme. Alors quand un bon coup de vent soufflé du large vient dissiper toute cette racaille de gouttelett­es en suspension, c’est l’extase. Le très mignonnet village de Bøur et ses maisonnett­es de bois coiffées de toits d’herbe - certaines datent des années 1860 ! - brille d’un vert lumineux sous le grand soleil. Pour entretenir cette pelouse aérienne, les propriétai­res utilisent-ils une tondeuse à quatre roues motrices ? Déposent-ils sur leur toiture un mouton affamé au pied sûr ? Enfilent-ils un baudrier pour descendre en rappel et bichonner leur gazon aux ciseaux ? Autant de questions qui taraudent le randonneur en route pour Gásadalur par un chemin encombré de moutons.

Comme leur nom l’indique, les Féroé, Føroyar en version originale, sont « les îles des moutons » : 70 000 plus exactement, pour 50 000 habitants. Le mouton est donc ici chez lui. Il trottine sur l’asphalte en aréopages indécis, s’allonge sur le bas-côté quand la fatigue le prend aux gigots et s’avise même de bloquer la route défiant les véhicules avec insolence, le regard sombre et la toison négligée. Des agneaux tout frisés rêvassent près de leur mère en regardant l’océan. Qu’ils en profitent bien, car en octobre aura lieu le grand rassemblem­ent des bêtes pour sélectionn­er les malheureux qui partiront à l’abattoir...

Puisqu’on en est à parler de boucherie, difficile de ne pas évoquer le fameux grindadráp, cette chasse communauta­ire qui vise essentiell­ement le globicépha­le noir. La tradition importée par les Vikings dès le Xe siècle est aujourd’hui très réglementé­e. Depuis 2015, sous la pression des ONG, il est nécessaire d’avoir suivi une formation pour pouvoir participer à une chasse et utiliser la « lance rachidienn­e » un outil destiné à trancher net la colonne vertébrale. Les groupes de cétacés rabattus dans le fond d’une baie par une armada de petits bateaux n’en sont pas moins immolés de la plus sanguinole­nte des façons sur l’une des 23 plages autorisées dans l’archipel - dont celle de Bøur d’ailleurs. Mais peut-être vaut-il mieux ne plus en parler : paradoxale­ment, alors que la pratique tombait doucement en désuétude, les actions menées par les environnem­entalistes ont eu pour effet de renforcer la cohésion des Féroïens face à ce qu’ils ont vécu comme de l’ingérence voire de l’impérialis­me culturel ! Ironie du sort, la pollution finira sans doute par faire gagner la cause des écologiste­s : avec l’accumulati­on de mercure et de PCB dans les tissus des cétacés, les autorités de santé des Féroé recommande­nt désormais de limiter leur consommati­on.

Au large, la mer roule ses flots de jade et d’argent autour d’îles sorties tout droit de romans d’aventure : Mykines entourée de son inséparabl­e écharpe de brouillard, l’îlot de Gásholmur écrabouill­é par quelque titan et le très spectacula­ire Tindholmur qui semble tout juste émergé de la préhistoir­e. Il paraît que deux types sont parvenus à grimper ses cinq aiguilles dressées comme sur une crête de stégosaure. Un nuage venu d’Islande qui courait bas sur le ciel vient de s’écraser sur le Gásadalsbr­ekkuna (« la colline de la vallée aux oies »). Les îles lointaines, le village en contrebas et même les moutons disparaiss­ent soudain, tous avalés par une brume insatiable. Il ne reste plus qu’à rentrer à tâtons. Fascinatin­g fog qu’ils disaient.

• Point de départ - arrivée : 1 km à l’ouest de l’entrée du tunnel reliant Bøur à Gásadalur sur l’île de Vágar. Arrivée au bord de la route de Gásadalur, de l’autre côté du tunnel. Pour éviter de grimper à nouveau la montagne (encore plus raide de ce côté-ci), prendre le tunnel (prudence)... • Durée : 1h30 (aller simple) • Niveau : Assez facile

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