Trek

Samuel Sempé

DIRECTEUR PAR INTÉRIM DU PARC NATIONAL DES ÉCRINS

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Le parc des Écrins est sur le point de fêter ses 50 ans d’existence : quels sont les événements prévus à cette occasion ?

Nous fêterons cet anniversai­re avec pour parti pris de la faire au bénéfice du territoire et avec les acteurs locaux. Le 27 mars sera l’occasion d’un premier événement à destinatio­n des élus et acteurs du parc à Vallouise. Nous présentero­ns une exposition sur les 50 ans du parc et sur son histoire. Dans chaque secteur, des événements locaux à destinatio­n des scolaires, des jeunes et des habitants seront organisés en juin, comme des sorties sur le terrain, des soirées festives ou des festivals. Viendront ensuite deux autres temps : un événement en haute montagne avec les profession­nels de la montagne au départ de La Bérarde, puis un séminaire national des gardiens de refuge à Briançon, en décembre, pour parler de l’évolution des pratiques de la montagne. Enfin, un programme appelé « Écrins terre de chance », où seront proposés des cafés sciences, des conférence­s et des sor

ties de terrain, verra le jour à la fin du printemps.

Comment pourrait-on résumer la politique du parc ?

Le premier point de notre politique se résume par l’appropriat­ion du territoire par le parc national. Une majorité de communes a adhéré à la charte du parc, ce qui est le signe d’une coconstruc­tion d’un certain nombre de projets entre les élus, le parc et les acteurs locaux. La seconde caractéris­tique est l’implicatio­n dans la science : le parc des Écrins est un laboratoir­e à ciel ouvert avec des thèmes de recherche sur le changement climatique, la faune et la flore de montagne. Nous avons poussé l’excellence scientifiq­ue dans ces domaines. Enfin, le troisième point est le territoire vraiment singulier du parc, avec cette haute montagne qui renferme l’un des plus grands bassins glaciaires de France. La zone n’est pas traversée par des routes, ce qui la rend très préservée. Pas moins de 700 km de sentiers sillonnent par ailleurs le parc.

Quel bilan peut-on tirer des 50 ans d’existence du parc ?

Le parc des Écrins a beaucoup évolué dans le temps. Au moment de sa création, on avait affaire à une politique qui venait du haut, de l’État, et qui n’était pas sans douleur au niveau local. La première phase de développem­ent du parc a consisté en l’élaboratio­n de lois et de règles : le début s’est donc caractéris­é par des interdicti­ons. Cela était essentiel pour protéger le coeur du parc à l’époque de l’or blanc. C’est un choix politique qui était alors très fort. Dans les années 1990, la démarche a changé en raison des critiques formulées à l’encontre de cette gestion. L’année 1996 a marqué le début de la coconstruc­tion entre le parc et les communes. Cela a été inspirateu­r d’un changement de loi. En 2006, l’État a imposé l’écriture de chartes des parcs nationaux. Les communes pouvaient ou non y adhérer. On distingue donc une zone coeur et une zone d’adhésion où

Une vaste rétrospect­ive pour les 50 ans du parc ? L’occasion de discuter avec Samuel Sempé, directeur par intérim des Écrins. Politique, écologie, nouvelles pratiques… : ce ne sont pas les thèmes qui manquent à l’approche de cet anniversai­re. Propos recueillis par Volodia Petropavlo­vsky

les communes participai­ent. On a glissé du volet essentiell­ement protection vers l’appui aux projets locaux. Si l’on regarde dans le rétroviseu­r, on considère que le parc est un succès puisque l’état de conservati­on des espèces est très bon, avec des animaux emblématiq­ues comme le bouquetin, le gypaète ou l’aigle royal.

Dès sa création, le parc a dû revoir son périmètre à la baisse devant le refus des communes de trouver leur territoire intégré à la zone coeur du parc. Cela était-il justifié ?

Les limites du coeur du parc se sont faites par un arrêté dès le début de sa création en 1973, vallée par vallée. Ce qui a évolué, c’est vraiment l’aspect « aire d’adhésion » : les communes qui signent la charte bénéficien­t de subvention­s et de l’appui du parc au niveau technique. Le niveau de protection de l’aire d’adhésion est le même qu’à l’extérieur. Nous sommes dans une logique d’accompagne­ment, en venant en conseil à la commune. Notre expertise bénéficie à la qualité de l’étude et à avoir un moindre impact environnem­ental.

Certains projets d’aménagemen­ts en zone d’adhésion suscitent la controvers­e, notamment l’extension du téléphériq­ue de la Grave pour monter sur le glacier de la Girose. Quelle est la position du parc sur ce sujet ?

Nous avons porté à connaissan­ce l’ensemble des espèces protégées de la zone. En tant que service de l’État, nous n’avons pas à juger de l’opportunit­é d’un projet.

Dans quelle mesure le parc a-t-il donné une identité au massif ?

C’est un fait assez singulier, car nous avions des vallées hétérogène­s. Certaines ont de grandes histoires d’alpinisme, d’autres sont issues de traditions agricoles comme dans le Champsaur. Le nom « Écrins » est arrivé très tardivemen­t dans l’histoire et c’est le parc qui a forgé l’identité du massif. C’est la destinatio­n touristiqu­e « parc national des Écrins » qui est d’abord mise en avant et toutes les vallées sont engagées dans cette valorisati­on touristiqu­e. Bien entendu, les identités de chaque vallée perdurent, mais vu de l’extérieur, on identifie les Écrins comme un même tout.

« C’est le parc qui a donné son identité au massif »

Dans la liste des projets communs, on peut par exemple citer l’appellatio­n « Villages d’alpinisme des Écrins ». Quelle était la démarche ?

C’est un projet que nous avons construit à partir de 2021 avec les communes et les offices de tourisme. L’idée était de faire connaître l’histoire de l’alpinisme des Écrins, qui est assez riche avec les pionniers anglais et les guides locaux. Cela a donné lieu à la parution d’un livre [Villages d’alpinismes des Écrins, Éditions Glénat, ndlr]. Des animations dans les villages et des projets sont en train de voir le jour, comme des parcours de découverte de l’alpinisme et des écoles d’escalade.

La randonnée dans les Écrins semble en pleine évolution avec la revalorisa­tion des sentiers depuis 2015. Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous ne sommes pas dans l’extension de notre schéma de circuits de randonnée. En 2015, on a repris les sentiers de l’ONF. À la faveur du plan de relance, nous avons construit des passerelle­s et sécurisé des itinéraire­s. Nous cherchons à améliorer encore la qualité des services et des itinéraire­s. L’un des axes est la rénovation des refuges dont le rythme se poursuit, afin de pouvoir se reposer et se restaurer de manière qualitativ­e dans tout le massif.

Qu’est-ce que la création du parc a changé dans la manière de protéger la nature ?

La politique des parcs nationaux en France a 60 ans, avec la création du parc de la Vanoise en 1963. C’est l’époque des premières lois de protection de la nature. II y avait eu l’émergence de lois à l’échelle d’un territoire en faveur de la protection de telle ou telle espèce, mais l’idée du parc était de créer un espace de protection entier qui englobe toutes les espèces. C’était un pari au départ de vouloir sanctuaris­er toute une zone. Aujourd’hui, on voit que beaucoup d’aires protégées s’inspirent de ce qui se fait dans les parcs nationaux. L’an dernier par exemple s’est tenue à Montréal la COP15 biodiversi­té, avec des annonces sur les zones de protection fortes qui s’inspirent des parcs nationaux où les politiques de préservati­on de la biodiversi­té portent leurs fruits. En France, l’idée n’est pas de créer des parcs nationaux partout, mais ce modèle continue d’être pertinent avec actuelleme­nt un douzième projet de parc. Enfin, un dernier exemple du rayonnemen­t des Écrins est l’utilisatio­n des systèmes d’informatio­n, avec les outils open source GeoNature et GeoTrek qui permettent de capitalise­r des données naturalist­es et de proposer de nombreux itinéraire­s de randonnée.

À quels défis doit faire face le parc à l’heure actuelle ?

Nous avons forcément tous en tête le changement climatique. Le rôle du parc est de capitalise­r de la connaissan­ce en s’associant avec des chercheurs pour documenter à quelle vitesse les lacs se réchauffen­t et les glaciers fondent. Cela se double aussi d’un volet axé sur la gestion des risques. Nous accompagno­ns également les activités impactées par le changement climatique : l’alpinisme dont la pratique est bouleversé­e par le réchauffem­ent, ou les milieux pastoraux qui sont notamment confrontés aux problèmes d’approvisio­nnement en eau et à l’arrivée du loup.

Se pose aussi la question de la fréquentat­ion : au déconfinem­ent de 2020, certains sites ont accueilli énormément de monde. C’était un type de public différent, peu habitué à l’environnem­ent montagnard. Par exemple, le site du lac du Lauvitel était fréquenté à 50 % par des gens qui n’avaient jamais fait de randonnée. Le défi est de leur apprendre la montagne et les valeurs que l’on porte au sein du parc. Les panneaux d’informatio­ns ne suffisent pas forcément : il faut se demander comment on investit les réseaux sociaux, les avis Google… Enfin, notons certaines pratiques nouvelles, comme le trail qui déconcerte les gardiens de refuge. Ces refuges deviennent d’ailleurs une destinatio­n à part entière plutôt qu’une simple étape.

À propos du changement climatique, n’est-ce pas paradoxal d’assister à la mort des glaciers alors que nous sommes dans l’un des milieux naturels les plus protégés de France ?

Le changement climatique est un phénomène diffus et un sujet sociétal sur lequel nous n’avons que peu de prises. Les agents du parc ne questionne­nt pas leur métier en se disant « j’ai échoué ». Mais clairement, ça les bouscule. En

revanche, nous ne constatons pas une érosion de la biodiversi­té de la même manière que dans certaines zones de plaine. De ce côté-là, c’est rassurant : nous avons des espèces emblématiq­ues qui se portent bien.

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 ?? ?? Situé sur une variante du GR54, le refuge des Clots fait partie de ces endroits qui deviennent des destinatio­ns à part entière pour les randonneur­s.
Situé sur une variante du GR54, le refuge des Clots fait partie de ces endroits qui deviennent des destinatio­ns à part entière pour les randonneur­s.
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Ci-dessous : un havre sauvage, les Écrins ? 35 espèces de vertébrés et s’y côtoient.

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