Vanity Fair (France)

« MAINTENANT, TOUT LE MONDE VEUT DES CHORÉS DANS LES CLIPS ! »

Mixant hip-hop et contempora­in, la chorégraph­e MARION MOTIN fait danser Stromae et Christine and the Queens. Et tente d’éviter le surmenage.

- – PROPOS RECUEILLIS PAR ERICK GRISEL

«

Quand je travaille avec un artiste, je le regarde d’abord marcher et bouger. Il se produit une sorte d’alchimie : je ressens son état physique et mental dès les premières secondes de notre rencontre. et Héloïse Letissier [

Stromae Christine and the ] sont très doués avec leur corps. Ils sont atypiques et l’asQueens sument. Stromae, c’est L’Étrange Noël de M. Jack, il a ce corps, si long... un fabuleux outil de travail. Pareil pour Héloïse : ce corps féminin et cette attitude parfois masculine, son ambiguïté, c’est sa force. Et en danse hip-hop, on apprend justement à faire de sa singularit­é un atout : tu peux être gros, maigre ou bossu, cela ne t’empêche pas de bien danser. Contrairem­ent à la danse classique où tu es sans cesse confronté au miroir, où tu dois entrer dans un moule, en hip-hop, qui est une danse de rue, tu te crées ton propre moule.

Sur le tournage de son dernier clip, Stromae avait un solo de danse. Il m’a donné une ligne directrice, puis, en écoutant le son chez moi, je me suis constitué mentalemen­t une banque d’images... et les mouvements sont venus instinctiv­ement. Pendant les répétition­s (qui n’ont duré qu’une journée), des choses ont changé, bien sûr : ce qui marchait sur moi ne marchait pas forcément sur Stromae et vice versa. Puis, le jour du tournage, il a fallu réadapter certains mouvements à la caméra. J’étais dans un état second, comme à chaque fois que je suis en tournage ou en représenta­tion : j’en oublie de manger ou d’aller aux toilettes [rires]... Sûrement parce que je recherche la perfection. Ce qui ne signifie pas qu’un mouvement doit absolument être beau. Avant tout, il doit être authentiqu­e, pas gratuit ni inutile.

En salle de répèt’ ou sur un plateau, on doit fournir un résultat. Il y a aussi l’après, la célébratio­n de ce résultat. Le fait de pouvoir danser sans enjeux, sans que ce soit un travail, c’est très important pour moi. C’est le point commun de tous les artistes avec qui j’ai travaillé : ils adorent danser. Sur la dernière tournée de , où j’étais danseuse et un peu chorégraph­e, Madonna tout anniversai­re – et Dieu sait s’il y en avait, vu le nombre de gens – était prétexte à organiser de petites fêtes. On faisait un cercle et ceux qui voulaient – parfois c’était elle – dansaient au milieu. Pas plus tard qu’hier soir, après une journée de répétition à La Rochelle, on a dansé jusqu’à 3 heures du matin avec Héloïse et ses danseurs. Six en tout, que nous avons choisis ensemble pour leur niveau, bien sûr, mais pas seulement : pour moi, les qualités humaines comptent autant que le talent.

Le premier clip que j’ai chorégraph­ié, c’était Papaoutai. Un ami directeur artistique m’avait présenté à Stromae. Petite équipe, peu de moyens : Stromae avait même payé de sa poche pour faire venir les danseurs. Je ne me suis pas dit : “C’est un tube !” Personne ne se doutait du raz- de-marée que ça allait être. Mais je me suis dit en revanche : “Ça y est ! Quelqu’un comprend la danse et les danseurs.” Comme lui et son équipe, j’ai vu le succès monter et la danse regagner les clips qu’elle avait désertés pour des questions de budgets. Maintenant, tout le monde veut mettre des chorés dans les clips, même quand ce n’est pas justifié, à croire que c’est la recette magique ! Après Papaoutai, on m’a proposé davantage de travail. Sans que les programmat­eurs sachent trop bien où me situer, quelque part entre le hip-hop et le contempora­in, sans doute. C’est clair que cela a été un tremplin. Les projets s’enchaînant de plus en plus vite, j’ai parfois besoin de faire des cures de “non- danse”. Après Bercy avec Stromae en décembre 2014, j’ai arrêté un mois. J’ai eu comme un vertige. Je suis allée chez ma mère qui n’était pas là, j’ai nourri son chat, fait le marché, lu et je me suis mise au tricot, dont l’analogie avec la danse m’a semblé frappante. Une histoire de matrice, une façon de rentrer dans la laine, dans le volume, de comprendre comment ça marche pour récupérer tes erreurs. C’est comme si tu zoomais dans le truc et que tu faisais partie intégrante du tricot [rires]. La choré, c’est pareil. Alors voici peut- être un tout petit secret de fabricatio­n : retrouver l’énergie, l’inspiratio­n là où on ne l’attendait pas, dans des choses anodines, loin de son milieu et de son métier. »

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la femme derrière
la fabuleuse choré
de Papaoutai
de Stromae (en bas).
Marion Motin, la femme derrière la fabuleuse choré de Papaoutai de Stromae (en bas).

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