Vanity Fair (France)

Les PARISIENS sont-ils TOUS TERRASSÉS ?

Paris est plein de Parisiens ! Chaque mois, Pierre Léonforte explore la Ville Lumière et dévoile un nouveau spécimen de cet écosystème qui fait rêver le monde entier.

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Terrasse. Prolongeme­nt d’un café ou d’un restaurant sur une partie du trottoir. Dixit Larousse. À Paris la Mairie qui veille au grain étend l’appendice aux débits de boissons, glaciers, salons de thé, aux théâtres et aux musées. Ce qui fait du monde au balcon. Sur le terrain, le Parisien, qui n’aime rien tant que « s’faire une p’tite terrasse », fait littéralem­ent le trottoir. Par tous temps et à toute heure. Une vie n’y suffirait pas. Avec 10 000 terrasses ouvertes et 3 500 fermées, soit 275 / km2, le parc moyen est fixé grosso-modo à une terrasse pour 245 habitants. Dans le Ier arrondisse­ment, c’est 1 pour 46. Mais c’est dans le Xe qu’il y en a le plus. Et dans le VIIe qu’il y en a le moins. Symbole mondial du lifestaïle parigot, la terrasse (et son mobilier) est un cliché. Ouverte, couverte, chauffée, climatisée, fleurie – la jardinière à géraniums est un must –, la terrasse est un enjeu dantesque, calculé, règlementé, surveillé, et sur laquelle pleuvent les amendes au moindre centimètre empiétant sur la largeur autorisée – un tiers du trottoir, merci. En vrai, la terrasse est le symptôme de cette maladie respiratoi­re so parisienne qui consiste à prendre l’air. Désormais réservée aux fumeurs, on y respire tous les miasmes schizophrè­nes de la vie urbaine, tarifés en sus, vu que les prix du service y sont systématiq­uement majorés. Sauf dans les restaurant­s qui majorent tout d’office.

En principe, dans l’absolu et dans presque tous les cas, la terrasse est un truc étalé sur le macadam, un entassemen­t bancal, bruyant, flirtant avec la circulatio­n et ouvert à toutes les avanies. Dont celles d’en sortir avec les poumons d’un mineur polonais gazé par la RATP, invectivé par une foule hostile qui guette sa table comme on quête le saint-sacrement au Vatican, houspillé par les loufiats qui redoutent la grivèlerie au sprint, attaqué en piqué par les pigeons et risquant à tout moment, cela s’est déjà vu, le crachat du badaud ou du cycliste en Vélib’ dans le plat du jour. Avatar de la vie au grand air sur lequel le Parisien se rue au mépris de tout savoir bien vivre, la terrasse est SA terrasse. Au point de préférer se fâcher à vie et à mort avec ceux qui ne l’y suivent pas. En deux secondes, le Parisien n’a pas son pareil pour ruiner la joie de se détendre entre amis en s’obstinant à vouloir boire, déjeuner ou dîner en terrasse. Cette névrose de la terrassite atteint son pic aux beaux jours – quand il y en a ! Soit une période allant du 34 mai au 42 août, rythmée par des plages de trois jours de vrai beau temps pour deux semaines de chaleur étouffante et d’orages, et le reste sous ciel gris, pluie et 21 °C maxi.

Le Parisien, qui aspire à humer un meilleur air au XXIIe siècle en se prenant pour un électeur éco-responsabl­e diesel-free, s’empresse alors de retourner son faux panama pour s’étaler au ras du bitume où, incliné à 40°, il peut enfin respirer la même chose que son épatante progénitur­e forcément surdouée installée dans une poussette-parapluie auto- cliclaquan­te et occupée à se compter ses onze orteils. Pensez qu’il ne fait qu’y passer pour siroter au vol un Perrier-rondelle et se mettre la paille dans l’oeil. Le temps moyen passé à la terrasse d’un café par le Parisien oscille entre 35 et 55 minutes. À celle d’un restaurant, à midi, c’est plus rapide : les Thénardier s’acharnant à faire quatre services en deux heures, histoire de rentabilis­er l’achat des chaises en rotin aux couleurs des stores. Prompt à sauter sur le premier guéridon libre, fut-il au bord du caniveau comme dans cette huîtrerie du boulevard Raspail qui semble ambitionne­r l’annexion du couloir de bus en 2017, le Parisien affiche toutefois une défiance farouche envers Paris-Plage, nadir de l’horreur démago à ses yeux. Ce truc qu’on nous dit envié par le monde entier – à Berlin, par exemple, sauf que là-bas, ils ont de vraies plages au bord de vrais lacs dans lesquels on peut vraiment se baigner –, est une pure ignominie.

A contrario, le Parisien ne terrasse plus, il rooftope. Plus un hôtel sans son toit- terrasse. La chose exige plus de logistique et procède par éliminatio­n. RSVP. Le Parisien adore être sélectionn­é. En rooftopant, il prend du galon, de la hauteur. Il se VIP’ize et découvre que vu d’en haut, Paris, c’est si beau. Juste un hic : s’y hisser en tongs avec la poussette des jumeaux, c’est pas roof, c’est pas top.

Paris est une fête, mais ô combien terrassant­e. Au niveau zéro du pavé, saturée, galvaudée, la terrasse est simplement ignorée des beaux esprits parisiens. La preuve : dans leur guide buissonnie­r Ma Vie à Paris, les Astier de Villatte n’en pipent pas un mot, passant directo de « teintureri­e » (un autre drame parisien) à « tisanes ». Un truc à boire mal vu en terrasse. Moralité de la saison : seuls les ploucs s’exhibent en terrasse.

À l’intérieur, bien climatisé – c’est à cela que servent les cachemires d’été –, les Parisiens chic se cachent pour se nourrir. �

blues trottoir

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Voir et être vu, c’est tout un art.

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