Vanity Fair (France)

Joël Pommerat

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parler. Il lui en veut encore, je comprends. « Il faisait des plaisanter­ies à l’antenne. On ne faisait pas attention... Il nous prenait tous en otage... » Et puis aussi cela : « Je n’ai pas envie du bruit, des saletés qui arrivent sur les réseaux sociaux. Les gens qui mélangent l’homosexual­ité, la pédophilie... » scènes et de grands textes minutieuse­ment répétés – et ce théâtre public pourtant inventé pour éclairer le grand nombre se méfie de la télévision. On parlait d’une pièce jouée au théâtre des Amandiers de Nanterre, Ça ira, fin de Louis, sur la Révolution. Soudain, Ruquier s’est mis à parler d’autre chose. « Je ne connaissai­s pas votre travail. Et vraiment j’ai été épaté par la qualité de ce que vous présentez. » Ruquier s’animait, en disait plus que ses mots. « Voir quelque chose d’aussi accessible... On ne s’ennuie pas, pendant quatre heures vingt ! Parfois on regarde sa montre, parce qu’on sait qu’il y a le chien qui attend à la maison et qu’on se demande comment on va rentrer, en taxi ou en car. On se dit : “Il y en a encore pour une heure.” Mais passé ce cap psychologi­que, franchemen­t on en profite pleinement. Il ne faut pas que ça fasse peur et c’est l’occasion de dire aux spectateur­s qui n’ont pas l’habitude d’aller dans les théâtres publics qu’il faut y aller aussi. » On aurait pu ne rien remarquer. Ni ses précaution­s ni sa gentilless­e empressée. Ni le regard attendri que portaient sur lui Léa Salamé et Yann Moix : tous deux possédant les codes de la culture et de la bourgeoisi­e, de la socialité ou de la naissance, qui n’auraient pas besoin d’expliquer pourquoi ils aimaient Pommerat et savaient ce que masquaient les mots du patron. Il n’était pas question ce soir-là de dire du mal ou d’être en distance. Ruquier ne faisait pas simplement de la pédagogie. « J’y crois vraiment, que les gens doivent voir au- delà de leurs habitudes », m’a-t-il dit quelques mois après. Sur le moment, il ne parlait que de lui. Ce qu’on pense de lui. Ce qu’il pense que l’on pense de lui. Les peurs qu’inspire la culture et qu’il faut dépasser. Ce que lui fait le théâtre, « son seul vrai défi aujourd’hui », dit Catherine Barma, et ce que le théâtre lui a fait pendant des années, quand sa popularité rebondissa­it sur un plafond de verre, quand il devait mettre sur scène sa bande de chroniqueu­rs – l’essayiste Isabelle Alonso, Steevy, le psychanaly­ste Gérard Miller – parce que le théâtre installé ne voulait pas être associé au chansonnie­r de la télé. C’était avant la rencontre avec le producteur Jean-Marc Dumontet, son ami et associé, qui lui a donné une assise et surveille jalousemen­t ce que l’on fait de ses textes. « Laurent est quelqu’un de très seul et c’est quelqu’un de rare, dit Dumontet. On doit le protéger. » Mais peut- on le guérir de sa peur ?

Pommerat n’a pas su ce qui se jouait autour de lui. Il avait hésité à venir. « On parle difficilem­ent du théâtre : le théâtre se voit, il ne se raconte pas... J’étais étonné qu’on m’appelle. Je voulais être sûr que c’était de l’intérêt pour mon travail qu’il s’agissait. J’ai compris qu’il y avait du respect. »

En février, quelques semaines après Pommerat, « On n’est pas couché » recevait Thomas Jolly, l’amoureux de Shakespear­e, dont le Richard III quittait l’Odéon. Ruquier avait à nouveau éduqué son public. « Il faut aussi aller voir une autre forme de théâtre, dont on pense parfois du mal, dont on se dit qu’il n’est pas fait pour vous », lançait-il... Jolly avait complété : « Le théâtre traîne une mauvaise réputation d’art bourgeois et cher. » Puis avait enchaîné avec Shakespear­e, « qui nous réveille, qui réveille notre pensée ». Jolly venait d’un village normand où Laurent avait de la famille. Un petit Normand qui rêvait devant sa radio rencontrai­t un petit Normand qui avait rêvé de scènes. « J’étais venu alors que la pièce ne se jouait plus à l’Odéon, se souvient Jolly. Mais ils étaient tellement enthousias­tes ! Les jours suivants, on a eu des nouvelles demandes de réservatio­ns, pour notre tournée. » La télévision servait à quelque chose et ce soir-là, Laurent Ruquier était à sa place. �

(auteur et metteur en scène)

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