Vanity Fair (France)

Peter reichard

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Il me rappelle qu’elle n’a toujours pas réussi à passer le bac, qu’elle a commencé une formation en orfèvrerie qu’elle n’a pas menée à terme. Pareil pour le permis de conduire. En 2008, elle s’est essayée comme interviewe­use à la télévision. Le temps de trois émissions.

Au printemps 2016, elle a tenté (en vain) de faire interdire le livre que Peter Reichard lui a consacré. Une décision d’autant plus surprenant­e que l’ouvrage, très fouillé, prend résolument son parti et réfute toutes les théories du complot qui lui empoisonne la vie depuis dix ans. Mais elle ne supportait pas qu’y soient décrites en détail les vidéos que Priklopil avait tournées avec elle (bien qu’elles confirment tout ce qu’elle raconte dans sonnes qui gagnent beaucoup d’argent avec elle, vous savez. » Selon l’ex- flic de Hambourg, toute l’existence de la jeune femme est régentée par un triumvirat composé de son agent, Dusan Uzelac, de son avocat, Gerald Ganzger (qui, d’après Reichard, n’a toujours pas dit à sa cliente où se trouvait la totalité des dons faramineux qu’elle a reçus depuis sa libération), et surtout d’un certain Johannes Silveri, un travailleu­r social à la retraite avec qui elle passe l’essentiel de son temps. « Les deux ont développé une relation fusionnell­e bizarre d’amour-haine. Ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Natascha dit qu’elle ne veut plus le voir. Silveri dit la même chose de Natascha. Et ils sont toujours ensemble ! Jour et nuit ! »

Peter Reichard estime que ce ne sont pas là des relations très saines pour une jeune femme de 28 ans. « Le dernier documentai­re de la télé autrichien­ne qui lui était consacré [diffusé en juillet 2016] la montrait en compagnie de jeunes gens de son âge. Mais ils ne sont pas si proches d’elle que ça. La réalité, c’est qu’elle passe tout son temps avec Silveri, qui a 69 ans et qu’elle est prisonnièr­e de ces vieux messieurs qui profitent d’elle. » Et de me citer, pour corroborer ses dires, la mère de Natascha : « Ma fille s’est libérée d’un Priklopil et est tombée entre les mains de beaucoup de Priklopil. »

L’affaire Kampusch a inspiré un film (« une vraie merde », lâche l’agent Dusan Uzelac), une multitude de livres et même, de façon plus indirecte, une sitcom américaine (Unbreakabl­e Kimmy Schmidt). Mais, étrangemen­t, l’ouvrage qui en a le mieux saisi certains aspects essentiels est une nouvelle parue plusieurs décennies avant la naissance de Natascha Kampusch. Je le découvre vers la fin de notre entretien. Je viens de mentionner le nom de Stefan Zweig. « Ah, Stefan Zweig ! s’enthousias­me- t- elle aussitôt. J’ai adoré Le Joueur d’échec. Un homme enfermé dans une pièce, au bord de la folie, mais qui trouve malgré tout une solution pour s’en sortir. » Elle me regarde avec ses grands yeux bleugris : « C’est mon histoire. » A- t- elle oublié que le héros de la nouvelle reste, du moins en partie, prisonnier de la manie qui lui a permis de survivre ? �

(ex-policier allemand)

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