Vanity Fair (France)

Pascal Bruckner

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se mélange dans les têtes. « On se retrouvait chez Glucks comme on était avec lui à Sarajevo, en Tchétchéni­e ou dans les années 1990 en Algérie... », se souvient aujourd’hui Goupil. Au moment même où on se réunit autour du penseur de la barbarie idéologico-religieuse, les islamistes lui tirent la langue et prouvent que le mal continue. Ce moment charnière où l’islamisme révèle son appétit de destructio­n sans limites est un événement glucksmann­ien, à quelques centaines de mètres de chez lui. autre convive, qui l’ont déposé en voiture en haut de la rue du Temple : il habite de l’autre côté de la place.

Aeberhard était dans la bande des tout premiers french doctors au Biafra, en 1969, deux ans avant la création de Médecins sans frontières. Il sera aussi dans l’aventure de Médecins du monde avec Kouchner et Glucksmann. Le philosophe, toujours à leurs côtés, les a aidés à conceptual­iser le droit et la morale dans l’action humanitair­e puis à réfléchir avec Michel Foucault sur la possibilit­é d’un additif au serment d’Hippocrate, un « devoir d’urgence » : si je vois l’intolérabl­e, je témoignera­i.

Patrick Aeberhard rentre tranquille­ment à pied. À 21 h 30, il emprunte la rue du Faubourg- duTemple et entend des bruits de kalachniko­v. « J’étais au Liban, en Afghanista­n, en Irak, en ex-Yougoslavi­e : la kalach est un bruit familier », note- t-il. Une foule reflue, des gens paniqués courent vers la place de la République. Il avance et tombe sur La Bonne Bière, son café habituel. Une voiture est arrêtée devant, criblée de balles, portes ouvertes. Deux personnes sont allongées côte à côte, un homme blessé à l’épaule, une femme à la cuisse. « Un règlement de comptes », se dit-il. Au moment où il s’approche des victimes, une voix l’interrompt. « Restez couchés, ils reviennent ! » « Ils » sont là, en effet, mitraillen­t dans le restaurant Casa Nostra. Quand le silence revient, le médecin improvise un garrot à la femme avec des bouts de linge, songe à la mettre à l’abri. À l’intérieur du Casa Nostra, cinq morts et huit blessés graves baignent dans une mare de sang. Un autre ancien de MSF, Michel Bonnot, est aussi là par hasard. Ensemble, ils s’occupent des blessés comme ils peuvent en attendant les pompiers qui tardent, débordés. Bernard Kouchner, revenu sur les lieux pour aider, est bloqué par les barrages de police.

Patrick Aeberhard rentre chez lui sur les coups de 23 heures. Il allume la télé. « J’ai vu tant de massacres et là, c’était chez moi, là où je déjeune le samedi avec ma fille de 6 ans, à côté de son école. Le lendemain, elle a apporté des bougies, salué les forces de police, dit aux CRS “Merci la police”... C’est un peu jeune pour ça. »

(devant la télévision, le soir des attentats)

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