Vanity Fair (France)

LUCHINI, la vie CASH

- MICHEL DENISOT Directeur de la rédaction de Vanity Fair.

Fabrice Luchini ? Je le connais par coeur. Bon, il m’étonne toujours. Je croyais le connaître. Comme vous. Voire un peu mieux, vu mes nombreuses émissions avec lui. Son génie de l’improvisat­ion d’une richesse inouïe, son à-propos sans équivalent... Il est à part ! En haut ! Seul !

Avant que Sophie des Déserts ne commence son portrait, je lui ai raconté des anecdotes, parfois lointaines et croustilla­ntes. À Cannes, par exemple, au siècle précédent, Laurence Haïm (ex- correspond­ante de Canal + à Washington et, désormais, ex- de l’équipe Macron) faisait les interviews sur les marches du Palais des festivals (car, avant Laurent Weil, les marches existaient déjà). Ce soir-là, Fabrice, venu pour un film important, était resté planté, en admiration devant le décolleté généreux de Laurence. Ces seins lui inspirèren­t des pensées lubriques – « J’ai envie de me branler entre vos seins », dit-il à ma consoeur, écarlate et muette (la seule fois de sa vie). Lui seul peut dire ça sans choquer tout le monde. Dit-il ce qu’il pense ou fait-il un numéro ? Il fait les deux en un – avec un emballage artistique.

Bien plus tard, à Cannes encore, à l’heure du déjeuner sur la Croisette pour Ma Loute, de Bruno Dumont, il refait avec moi le bourgeois déjanté et déformé qui marche comme un Aldo Maccione revisité en criant : « Isabelle [le rôle tenu par Valeria Bruni Tedeschi], la glycine... » Loufoque ! Les promeneurs l’admirent sans comprendre. Il n’a pas d’agent, pas d’attaché de presse avec lui. Comme le disait Delon (à propos de Delon), dans notre numéro d’août, il ne joue pas, il est. Comme Delon et Depardieu.

Et puis Sophie m’a raconté ses rendez-vous avec Fabrice. Il est cash – sans filtre –, il aime le cash – sonnant et trébuchant. Soucieux du lendemain en faisant briller et fructifier l’instant qui lui appartient, riche de son lyrisme, de sa culture, de son espiègleri­e, de son ego, comme s’il s’aimait. Derrière l’immense mise en scène qu’il nous offre, qui y a- t-il ? Pourquoi ? C’est la meilleure question de notre métier. La réponse est dans Vanity Fair.

Ce numéro d’automne compte évidemment bien d’autres bonnes feuilles, mieux accrochées que celles du marronnier que je vois d’ici. Une visite des parcs d’attraction­s en Corée du Nord – absurde à souhait, mais belle. Ou plus près, Londres, ville ouverte et cosmopolit­e élisant un maire musulman quand le pays vote le Brexit – paradoxal, mais gros de promesses.

Et tout près, cette fois : le dégagisme historique qui a balayé en quelques mois deux anciens présidents de la République et trois premiers ministres (tous fans de Luchini, comme Emmanuel Macron, eh oui !) À quoi ressemble leur vie après ? Ce sont de grands brûlés qui se soignent comme ils peuvent. Avec l’espoir de revenir. Toujours. Avec le temps. Pas perdu.

William Friedkin, réalisateu­r de L’Exorciste, raconte comment sa femme d’alors, Jeanne Moreau, lui a fait découvrir Marcel Proust et, bien sûr, la musique inimitable de La Recherche. C’est devenu une obsession chez lui. Il a mis ses pas dans les siens, du lycée Condorcet à son « bouchon » tapissé de liège du boulevard Haussmann, en passant par Illiers, rebaptisé Illiers- Combray. Il y a chez Proust la clé de tout : il avait compris que tout était lié et que tous les chemins que nous empruntons amènent toujours au même endroit, à l’intérieur de nous- même. N’est- ce pas, Fabrice ? �

CULTURE, LYRISME, ESPIÈGLERI­E, EGO : QUI SE CACHE DERRIÈRE CETTE IMMENSE MISE EN SCÈNE ?

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