Vanity Fair (France)

CHELSEA MANNING

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Elle dit qu’un journalist­e du Post qu’elle avait eu au téléphone a refusé de s’engager à publier l’histoire, ce qu’elle a interprété comme un signe de désintérêt. Elle a laissé un message sur le répondeur du médiateur du New York Times – ce que celui- ci nie, affirmant n’en avoir aucune trace tout en reconnaiss­ant en recevoir des centaines par semaine. « J’ai fait tout ça sur mes vacances, dit Manning. Je n’avais que douze jours. » L’avancée de la tornade Snowden compliquai­t encore les choses, la contraigna­nt à changer sans arrêt de cabine téléphoniq­ue de peur d’être repérée. « Le temps pressait », ajoute- t- elle. Avant de repartir en Irak, elle a envoyé les dossiers à Wikileaks.

Aujourd’hui encore, elle cherche à prouver que le problème est avant tout du côté du système. « Il faut trouver d’autres moyens de parler de ce qui se passe au gouverneme­nt », juge- t- elle. Je lui demande à quoi pourraient ressembler ces moyens. « Je ne sais pas ce qui est faisable. J’ai certaines valeurs et elles me guident », répond- elle. Et certaines de ces valeurs continuent à poser problème. Bien des législateu­rs ont bondi à l’annonce de sa remise de peine. À sa libération, Paul Ryan a déclaré : « La trahison de Chelsea Manning a mis la vie de citoyens américains en danger et exposé certains des secrets les plus sensibles de la nation. » D’autres ont argué que ses motifs étaient aussi honorables que le souci de vérité d’un journalist­e et que les dommages étaient faibles. Mis à part quelques prises de position en faveur de la communauté LGBTQ (elle était la vedette de la Gay Pride de New York en mars, au côté du jeune Gavin Grimm), Chelsea s’est montrée très discrète sur les sujets politiques. Elle a cependant gentiment critiqué l’approche tactique d’Obama dans une tribune parue dans The Guardian le 25 janvier, quelques jours après sa libération. « La leçon assez simple qu’il faut tirer du bilan du président Obama : ne jamais commencer par un compromis. Ils ne vous rejoindron­t pas au milieu. » Trump, tout juste intronisé, s’est fendu d’un tweet ravageur « l’ingrate traîtresse Chelsea Manning, qui n’aurait jamais dû être relâchée, traite maintenant le président Obama de leader mou. Affreux ! » Manning s’est abstenue de répliquer. Et dans la mesure où, en 2017, Wikileaks (qui semble avoir voulu peser dans le processus électoral en France et aux États-Unis et dont la réputation est quelque peu ternie par celle de son leader Julian Assange) n’a plus la même image que Wikileaks en 2010 (principale­ment voué à renverser le principe du secret), elle s’est là aussi abstenue de s’exprimer. « J’ai fait sept ans de prison. Je me suis complèteme­nt déconnecté­e de tout ça », affirme- t- elle. Elle pense rester à New York jusqu’à l’automne puis déménager dans le Maryland, non loin de l’endroit où elle a vécu avec sa tante.

D’ici là, elle espère s’acclimater à sa nouvelle vie. Pour le moment, certaines habitudes de cette décennie continuent à lui sembler bizarres. Comme notre fixation sur le téléphone. « On est dans la même pièce mais on regarde nos téléphones sans arrêt, observe- t- elle. Avant que j’aille en prison, j’étais une des rares à être sur les réseaux sociaux. C’était tout nouveau. Maintenant tout le monde y est en permanence ! » C’est-à- dire trop. « Je pense que c’est de là que viennent beaucoup de malentendu­s, d’obsessions, de frictions et de chaos. »

De ce fait, Manning, bien qu’elle utilise Twitter et Instagram, tâche de se concentrer le plus possible sur la vie réelle. Elle aime toujours les jeux vidéo, bien qu’elle ait abandonné les plus violents. À sa sortie de prison, elle s’est formée au langage programmat­ique Rust (« Il y a plein de fonctions qui n’existaient pas il y a sept ans », s’enthousias­me- t- elle). Elle espère retrouver une vie sentimenta­le – « Je ne compte pas rester célibatair­e ! » – mais préfère attendre d’être définitive­ment installée dans le Maryland.

Elle travaille aussi à l’écriture de ses Mémoires. « J’essaye de raconter l’histoire comme si elle se passait aujourd’hui et que vous étiez avec moi », explique- telle. Tim Travers Hawkins, le documentar­iste, dit qu’il pense arrêter de filmer bientôt, alors que Manning trouve manifestem­ent sa propre voie. « Elle est trop jeune pour que ce film soit l’histoire officielle de sa vie », dit-il.

Chelsea n’a aucune idée de la tournure que va prendre sa carrière. Quand elle vivait dans la peau de Bradley Manning, elle semblait intéressée par l’idée de joue un rôle politique. Je lui demande si elle y pense toujours. « Je ne vais certaineme­nt pas dire non, mais je ne vais pas non plus dire oui, esquive- t- elle. L’idée, c’est de passer les six prochains mois à essayer de déterminer ce que je veux vraiment. Il y a des valeurs qui me sont chères, comme la responsabi­lité, la compassion. Ce sont mes fondations. Dis, fais et sois ce que tu es, parce que, quoi qu’il arrive, tu es aimé inconditio­nnellement. » C’est la leçon, dit- elle, qu’elle aurait aimé comprendre plus tôt. « L’amour inconditio­nnel. Sois qui tu es. » �

« JE NE COMPTE PAS RESTER CÉLIBATAIR­E. » Chelsea Manning

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