« Il y a dix ans, Carrie disait déjà : “LEIA, C’EST MOI !”
“poker face”, se souvient Hamill. Carrie, elle, a dit oui aussitôt. Plus tard, je lui ai demandé : “Pourquoi étais-tu si pressée de dire oui ? Tu dois les faire patienter ; c’est le jeu...” Elle m’a répondu : “Quel genre de rôles les femmes de plus de 50 ans obtiennent- elles dans le show-biz ?” Carrie ne se faisait aucune illusion. »
Après la vente par George Lucas de sa société de production Lucaslm à Disney et le retentissant parricide qui a laissé Harrison « Solo » Ford sur le carreau dans Le Réveil de la Force (VII), la mort de Carrie Fisher fait de Hamill l’ultime icône de la saga originelle. Ce dernier refuse toutefois d’endosser les habits du gardien du temple : « J’adore Oscar Isaac, John Boyega et les autres, mais ils n’ont certainement pas besoin de mes conseils. C’est plutôt moi qui devrais leur en demander. » Une partie du VIII pourrait néanmoins voir Luke Skywalker enseigner les secrets de la Force à Rey, la jeune héroïne de l’épisode précédent. Mais depuis la mise en ligne d’une première bande-annonce en avril, les rumeurs circulent à la vitesse du Faucon Millenium. « Le temps est venu pour les Jedi d’en nir », lâche Luke Skywalker, crépusculaire, sur une île hostile de la planète Ahch-To où il vit retiré du monde. Une des raisons pour lesquelles ces quelques mots ont mis en émoi une partie non négligeable de la population mondiale tient au tempérament du personnage. À l’origine, Luke est un garçon de ferme naïf mû par un optimisme un brin dégoûtant. Il lui faudra trois volets d’aventures cosmiques, au cours desquelles il devient le virtuose du sabre laser que l’on connaît, pour prendre un peu d’épaisseur. Et encore, cela se fait au prix de la mort de son père (Dark Vador, si vous l’ignoriez) et de la perte d’une main dont le sort incertain présage d’un état de décomposition avancé (ce qui est aussi assez dégoûtant). Comment un post-ado glabre et niais a- t-il pu se transformer en pépé barbu atrabilaire ? « La sentence de Luke à propos des Jedi est assez dénitive, admet Hamill. Elle a quelque chose de cynique qui tranche avec le Luke qu’on connaît, même s’il est celui qui a le plus changé d’épisode en épisode. En cela, il est le contraire de Han Solo et de Leia. Eux sont bien dénis dès le premier épisode et n’évoluent plus – lui, le franc-tireur bougon ; elle, la princesse à poigne », précise l’acteur encore sous le choc du scénario de l’épisode VIII. « J’ai été très surpris par ce que Rian Johnson avait fait des personnages. Il m’a fallu du temps pour m’en remettre. Mais c’est bien. Les gens se demandent si le lm va plutôt ressembler au Retour du Jedi [VI], au premier épisode [Un nouvel espoir, le IV] ou alors à celui du milieu [L’Empire contre-attaque, le V] qui est plus sombre. Je leur dirais : “Il y a de l’humour, de l’action, des créatures... mais il ne ressemble pas aux autres lms.” »
Si ces propos obéissent au moins en partie à des éléments de langage élaborés pour la promotion du lm, Hamill semble sincère. Je suis quand même face à un acteur qui, a défaut d’avoir jamais réussi à se détacher de son personnage, est prêt à lui imposer un double pour exercer un semblant d’emprise sur son destin. Mieux : un sexagénaire qui se vante à longueur d’interview de la joie que lui a procuré la découverte d’un masque à son e®gie au dos d’une boîte de céréales brandée Star Wars. « Je l’ai montrée à Harrison, mais il se moque totalement de ce genre de choses », plaisante encore l’acteur en imitant l’air revêche de son camarade. Depuis des années, Mark Hamill collectionne des gadgets liés à la pop culture, à laquelle il a même consacré une émission télévisée (la « Mark Hamill’s Pop Culture Quest » sur la chaîne de vidéo à la demande Comic-Con HQ, dans laquelle il part justement à la rencontre de collectionneurs). « Je suis un geek depuis tout petit. J’adorais les lms d’horreur d’Universal. J’aime les gurines, le cosplay [les déguisements]... » Cette passion régressive lui a permis de tisser une relation privilégiée avec les admirateurs de la saga : « Ils savent que je suis un fan moi-même, que je ne fais pas semblant. J’allais dans les conventions de comics bien avant que le premier Star Wars ne sorte pour voir des lms qu’on ne pouvait pas voir ailleurs et je comprends parfaitement leur enthousiasme. » Et si, dans un vertigineux jeu de rôles, Mark Hamill avait accompli le rêve de tout mordu de pop culture : devenir le héros du lm dont il est le fan ? Voilà qui serait un authentique coup de génie. Quoi qu’en pense Péguy.¯°