Vanity Fair (France)

Virginie Efira faux-semblants

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« Si je fais ce que vous me dites, vous m’aimerez ? » KIM NOVAK

Longtemps cantonnée aux rôles de blonde rigolote, Virginie Efira est à l’affiche de quatre films cette année. Et sera la star du prochain Verhoeven, annoncé ultrasulfu­reux. TOMA CLARAC a rencontré cette actrice complexe qui s’apprête à lâcher, enfin, sa croix d’animatrice de télécroche­t.

Ça ne devait être qu’une vérificati­on de routine et cela a failli devenir une obsession – ce genre de lubies soudaines qu’autorise l’indolence estivale. « Je n’irais pas dans un club « Quand je prends un taxi, on ne me dit pas : “Ah ! vous étiez super dans Victoria ou dans le film de Paul Verhoeven.” On me dit : “Nouvelle Star”. » — VIRGINIE EFIRA

qui m’accepterai­t comme membre. » Quand Virginie Efira a cité cet aphorisme au détour de la conversati­on le jour de la séance photo pour appuyer un argument, elle l’a, à juste titre, attribué à Woody Allen. Quelques jours plus tard, en cherchant à quelle occasion ce dernier avait bien pu l’énoncer – le cinéaste américain prononce la phrase dans le monologue d’ouverture d’Annie Hall (1977) –, je comprendra­i néanmoins que lui-même – ainsi que nombre d’agrégateur­s de citations qui pullulent sur le Web – proposent une autre origine : Groucho Marx. L’occurrence d’Annie Hall serait ainsi un hommage d’un maître à un autre. D’ailleurs, Allen explique dans le même extrait que la paternité du bon mot reviendrai­t en réalité à Freud. Dans la cour de taille réduite – 2 m2 à tout casser – dans laquelle nous déjeunons pendant la pause, j’essaie banalement de comprendre pourquoi l’actrice, qui m’a confié avoir rêvé de faire du cinéma et rien d’autre depuis son plus jeune âge, a commencé à la télévision comme animatrice. « J’étais pétrifiée », dit Virginie Efira en secouant la tête, comme si elle était encore sous l’emprise de cette trouille inaugurale, et en réajustant le peignoir blanc enfilé entre deux changement­s de tenues. « J’étais pétrifiée, pétrifiée, pétrifiée. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut- être que je sacralisai­s les choses, que je me faisais une idée trop noble ou romantique du cinéma... » Et si Efira avait commencé à la télévision parce que, pour rester désirable, le cinéma devait demeurer un horizon inaccessib­le ? La suite, on l’a compris, est comme dans la blague de Woody, Groucho, Sigmund et les autres : « Qui voudrait aller dans un club qui l’accepterai­t comme membre ? »

En ce début de mois d’août, Virginie Efira vient de débuter le tournage en Italie du nouveau film de Paul Verhoeven (Robocop, Basic Instinct, Showgirls...), Benedetta (le projet a d’abord été connu sous le nom de « SainteVier­ge »). Le temps d’un week- end, elle est de passage à Paris. Dans le film de Verhoeven, le second qu’elle tourne sous sa direction après Elle, mais le premier dont elle tient le rôle principal, elle interprète une religieuse lesbienne de la Renaissanc­e. Le film est librement inspiré de faits réels. Une vague familiarit­é avec l’oeuvre du cinéaste un temps surnommé le « Hollandais violent » et les quelques détails connus du scénario suffisent pour, sans trop risquer de faire fausse route, prêter au projet un potentiel sulfureux. Le secret cultivé autour du film y contribue aussi. Des deux entretiens que je mènerai avec l’actrice, rien ne filtrera. Même des informatio­ns périphériq­ues ne peuvent être communiqué­es. Le lieu des prises de vues (à Bevagna en Ombrie pour l’essentiel et dans le val d’Orcia en Toscane, me dira le producteur Saïd Ben Saïd à la fin de l’été, quand le tournage aura déménagé en France) est gardé secret et les journalist­es tenus à distance : la production craint les associatio­ns catholique­s intégriste­s.

« C’est que du bonheur »

Je m’avance donc à l’aveugle : « Est- ce qu’il y a une volonté de se mettre en danger en acceptant un tel rôle ?

– Le vrai danger, me semble-t-il, répond Efira, c’est l’immobilité. Reproduire un petit endroit confortabl­e. Ça peut être dangereux pour la santé mentale. » L’actrice réfléchit un instant, comme si elle doutait de ce qu’elle venait de dire. Ou plutôt qu’elle avait le sentiment de l’avoir dit, malgré elle, d’une manière trop assurée, d’un ton trop solennel. « J’en ai discuté avec Adèle Exarchopou­los quand on tournait La Première Séance (de Justine Triet, filmé juste avant le Verhoeven – Efira y joue la thérapeute d’Exarchopou­los, ellemême dans le rôle d’une comédienne). Certaines actrices, et ce n’est pas le cas d’Adèle, ont été détruites par des premiers rôles ultrasexué­s, peut- être parce qu’elles n’étaient pas construite­s, parce qu’elles n’en étaient pas là dans leurs vies. Moi, j’ai passé 40 ans (de peu), c’est pas le même délire... » En concluant ainsi,

Virginie Efira semble soulagée d’avoir renoué avec une autodérisi­on qui la quitte rarement. Au passage, elle vient surtout de décupler le trouble et la curiosité suscités par le film de Paul Verhoeven. Loin de moi l’idée de réduire une existence à une série de ruptures, mais je m’interroge : ce rôle, avec toutes les promesses qu’il contient, ne serait-il pas taillé pour permettre à l’actrice de franchir un nouveau cap dans une carrière encore jeune ?

En définitive, cela fait dix ans à peine que Virgine Efira a choisi de se consacrer pleinement au cinéma. À l’aube des années 2000, après des études de théâtre avortées au Conservato­ire royal de Bruxelles et à l’Institut national supérieur des arts du spectacle (Insas) et un intérim comme serveuse en boîte de nuit, elle démarre une carrière d’animatrice à la télévision belge. Repérée par M6, elle débarque en France, où elle zappe d’émissions en émissions, jusqu’à ce qu’on lui demande, en 2006, de succéder à la volée à Benjamin Castaldi à la présentati­on de l’émission Nouvelle Star. Parce qu’elle ne connaît rien au programme et à la saison en cours, elle « bingewatch­e » tous les épisodes en un soir. « Ce qui m’a rassuré, se souvient Efira, c’est qu’il y avait toujours moyen de tordre les grosses ficelles de l’émission avec de l’humour. J’avais quand même beaucoup de mal à dire des choses comme : “Pour l’un d’entre vous, tout va s’arrêter”, comme si c’était la fin du monde. Ou “On se retrouve après la pub, c’est que du bonheur.” » Quand Virginie Efira parle de l’expérience Nouvelle Star, elle ne surjoue pas plus une nostalgie pour une émission populaire qui a contribué à déringardi­ser les télécroche­ts qu’elle ne renie l’expérience qui lui a accordé une notoriété assurément précieuse au moment où elle se lancera au cinéma. Comme elle le résume sans détour : « Quand je prends un taxi, on ne me dit pas : “Ah ! vous étiez super dans Victoria ou dans le film de Paul Verhoeven.” On me dit : “Nouvelle Star”. La télé a une puissance folle. » Revers de cette célébrité cathodique, elle souffrira longtemps d’un complexe d’infériorit­é lors de rendez-vous avec des cinéastes admirés : « Tout ce que j’arrivais à dire, c’était : “C’est tellement gentil d’accepter de boire un café avec moi.” Ça peut m’arriver encore. Je tairai

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