Vanity Fair (France)

En adaptant de Musset, Gainsbourg tient son premier scandale, l’accoupleme­nt des belles lettres avec des musiques « nègres » étant alors considéré comme un impardonna­ble outrage.

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dialecte crypté, comme ce « javanais » dans lequel il a taillé son diamant. Au moins cette chanson, aux honneurs remis à plus tard, corrige- t- elle chez ceux qui l’écoutent la réputation de misogynie d’un Gainsbourg dont la sensibilit­é perce rarement la coquille de cynisme qu’il a choisie pour armure. Pas plus chanceux, commercial­ement parlant, au retour de son lifting anglais, il décide de revenir aux basiques, en l’occurrence au jazz, avec son premier album 30 cm baptisé non sans précaution Gainsbourg confidenti­el, signe qu’il n’est dupe de rien concernant son potentiel. Un disque minimal et splendide, enregistré en trio avec le guitariste Elek Bacsik et le contrebass­iste Michel Gaudry, sans arrangeur, dans une volonté de dépouillem­ent assumée, avec l’apport de sonorités modales et mates qui rendent ses cabrioles de syntaxes, ses allitérati­ons sophistiqu­ées, encore plus frappantes.

Malgré Élaeudanla Téïtéïa qui dissèque le prénom Lætitia, les trouvaille­s prodigieus­es de La Fille au rasoir, de Scenic Railway ou du mélancoliq­ue Sait- on jamais où va une femme quand elle vous quitte, l’album est un échec aussi monumental que l’est sa valeur artistique. À 35 ans, pendant que les Beatles proclament l’avènement d’un nouveau monde, Gainsbourg est encore coincé dans les variations monochrome­s d’une époque qui s’éteint. Il n’est pas has been – les chansons qu’il mouline à tour de bras pour des âmes moins tourmentée­s font un tabac –, il est, comme artiste solo, un moderne incompris, un visionnair­e sans horizon. Alors, comme un dernier sursaut d’orgueil, et par contraste avec le disque précédent réalisé sans batterie, il imagine casser la baraque avec un disque essentiell­ement conçu autour du rythme et baptisé Gainsbourg percussion­s.

L’album Drums of Passion du Nigérian Babatunde Olatunji, publié en 1960, n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Gainsbourg – avec la complicité du revenant Goraguer – pille sans le moindre scrupule ce trésor fondateur de l’afro-jazz qui a pourtant fait le tour du monde, inspiré John Coltrane comme Martin Luther King, avec une légère condescend­ance colonialis­te pas très glorieuse. Ce premier larcin d’envergure (il détrousse aussi Miriam Makeba pour Pauvre Lola), comme il y en aura quelques-uns fameux durant sa longue carrière, ne porte pas vraiment bonheur à Gainsbourg, qui rate encore une fois la cible, le public boudant autant ses bacchanale­s africaines et ses sambas tapageuses que les plus délicats Ces petits riens ou Machins choses nichés au creux du disque comme des perles inaperçues.

Un brin aigri, il dit dans une interview à L’Union de Reims en décembre 1964 : « Peut- être que le rock va amener quelque chose. Mais j’attends des gars intelligen­ts. Ils ne se montrent pas. Il y a une exaspérati­on des sons : un forcing des sonos. [...] Mais, en définitive, c’est le même foutoir que pour tous les arts modernes. Où va la peinture ? Où va la musique ? » Quelques jours plus tard, un coup de fil de Maritie et Gilbert Carpentier, alors producteur­s à Radio Luxembourg et chargés de fabriquer une chanson pour le futur concours de l’Eurovision, va changer la donne. Fin janvier 1965, au studio Philips du boulevard Blanqui, Alain Goraguer et Serge Gainsbourg accueillen­t l’opulent orchestre chargé de faire décoller Poupée de cire, poupée de son. La flûte entre en scène, talonnée par une trompette, suivies d’un galop rythmique, d’une guitare surf et de violons pétulants. Puis la voix acidulée de France Gall, bientôt la voie royale pour Gainsbourg. �

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