Vanity Fair (France)

SHOWS PERCHÉS

À chaque Fashion Week, la maison Roger Vivier organise des performanc­es convoquant l’étrange et le spectacula­ire. Décors de cinéma, mises en scène théâtrales délirantes, avec escarpins, cuissardes et mules, bien sûr.

- Par Pierre Groppo

A u printemps, les chats dansants sont revenus sur le devant de la scène. Sur fond de musique baroque, ces félins à taille humaine se sont prêtés à d’aimables arabesques, façon fête à Versailles, dans leurs tenues de petits marquis, avec manteaux brodés, bas blancs et souliers à boucle, signature de Roger Vivier. Dès l’entrée d’un élégant hôtel particulie­r donnant sur le parc Monceau, une créature blond platine en justaucorp­s pailleté se pavanait dans un cygne géant. Dans le salon voisin, allongée sur un lit, une diva d’opéra rêvait d’amour entourée de cupidons aux corps musclés et entièremen­t maquillés de blanc, feuille de vigne judicieuse­ment placée, les chevilles et les mollets cernés de bijoux de pied. L’après-midi, une minute de silence était observée pour la guerre en Ukraine qui venait de commencer. Les masques tombent et les visages graves de comédiens apparaisse­nt.

Cette minute-là, Gherardo Felloni, le directeur artistique de Roger Vivier, y tenait. Tout comme à cette nouvelle édition d’un spectacle unique en son genre dans le paysage de la mode, perturbé deux ans durant pour cause de pandémie. Mais comment ce créateur de souliers, pilote depuis 2018 de la célèbre maison française – qui chaussa aussi bien la reine Elizabeth que les Beatles, lança la première collection de chaussures de Dior ainsi que le talon aiguille dans les années 1950 –, a-t-il imaginé ce drôle d’univers fantaisist­e, sorte d’Alice au pays des merveilles catapultée dans le milieu de la Fashion Week ? « Quand j’ai rejoint Roger Vivier, je me suis dit que les présentati­ons de souliers étaient rarement exhaustive­s. Après tout, comme les vêtements, les chaussures doivent être

portées pour être vraiment comprises », explique cet Italien adepte de la couleur, fou de cinéma et toujours paré d’une pièce de joaillerie vintage. « J’aime les femmes théâtrales, qui ont de la personnali­té, des caractères différents et affirmés. C’est à partir de cela que nous avons imaginé un spectacle qui dure... toute la journée. »

Ambiancer l’Institut de France

Pour chaque édition, la performanc­e porte un nom et un concept différent. En 2020, Sensorama fut une expérience multisenso­rielle dans un très bel hôtel particulie­r de la rue Alfred-deVigny. Tandis que pour présenter la collection printemps-été 2021, Hôtel Vivier Cinémathèq­ue mit en scène Isabelle Huppert dans un film interactif. Mais l’esprit reste le même depuis le tout premier Hôtel Vivier, inauguré en 2018, qui s’est déroulé dans une hallucinan­te propriété près du jardin du Luxembourg avec tout ce qu’il fallait de bar, concierger­ie... et chaussures exposées sur le mur à clés de la réception. Le tout évoquant l’univers de The Grand Budapest Hotel dont on aurait encore plus saturé la densité chromatiqu­e. Après avoir migré du côté du 16e arrondisse­ment, Hôtel Vivier

Confidenti­el : The Secrets of the Swan s’est posé à la Fondation Simone et Cino Del Duca, au coeur du 8e arrondisse­ment. La bâtisse est plus habituée aux conférence­s de l’Institut de France et des cinq Académies qu’aux grandes transhuman­ces de la famille de la mode, fraîchemen­t arrivée de Milan. « Mais c’est la dimension artistique du projet qui a su les séduire », assure Gherardo Felloni.

Il faut dire que la maison pousse loin le curseur créatif. « Il y a du théâtre, de la danse, des célébrités charismati­ques comme Rossy de Palma ou Anna Cleveland », poursuit le créateur dont la formule, promet-il, tient autant à la collection d’escarpins, cuissardes, mules et souliers rhabillés de plumes ou de cristaux qu’à une équation magique : « 50 % performanc­e, 50 % décor. » Pour ce dernier, il s’est adjoint les services d’Hervé Sauvage, set designer chouchou du milieu, qui signe la singularit­é de ce drôle d’hôtel où l’on ne dort jamais, où la troupe est convoquée sur le coup de 5 heures du matin, coiffure et maquillage obligent. Et si Gherardo Felloni supervise personnell­ement les castings, il n’aime rien tant que l’interactio­n, et l’improvisti­on. La recette de ce qui ravit le public et fait crépiter les smartphone­s : mieux que le metaverse, l’absolue immersion. C’est le pied. �

Quelle est votre idée du bonheur ?

Me réveiller au bord de la mer avec une journée libre, sans obligation. Par chance, j’en ai beaucoup : ce qui me permet de nager le matin et d’écrire l’après-midi. Quelles sont les personnes vivantes que vous admirez le plus ?

Je n’ai pas d’admiration entière et folle pour des personnes. À l’heure qu’il est, je dirais les anonymes du peuple ukrainien. Quels sont vos traits de caractère les plus marqués ?

L’optimisme et un goût pour la solitude. Votre plus grande excentrici­té ?

Je ne suis pas excentriqu­e du tout. Je me sens tout à fait adéquate. Adéquate à quoi, je ne sais pas. Peut- être au mouvement des vagues ?

Quelle est votre plus grande réussite ? Le temps progressif d’être lue et comprise. Alors que j’ai commencé comme essayiste, une de mes grandes satisfacti­ons est de voir deux de mes romans – Les Adieux à la reine et L’Échange des princesses – donner naissance à des films magnifique­s [le premier réalisé par Benoît Jacquot, le second par Marc Dugain]. Mon rapport au savoir passe désormais par un autre média. Les traduction­s me font le même effet.

Quel talent aimeriez-vous détenir ? Celui de dessinatri­ce ou de peintre. J’ai fait des aquarelles mais j’ai arrêté.

Quel est votre état d’esprit actuel ? Mélangé. Je suis partagée entre la conscience d’un monde catastroph­ique et la volonté, que chacun doit avoir, de m’obstiner et persévérer dans mes désirs. Quelle est l’expression que vous utilisez à l’excès ?

Dans l’écriture, je commence souvent les phrases par « c’est ». J’ai ce défaut. C’est l’expression qui vient le plus vite. C’est une manière d’éviter l’effort plus circonstan­cié. « C’est vite fait. »

Quel est votre plus grand regret ? J’aurais aimé vivre plusieurs mois à Rome. Je peux encore combler ce souhait mais j’aurais aimé le faire vers 20 ans, quand Federico Fellini y tournait ses films. Alors je le garde comme une espèce de rêve.

Si vous pouviez changer une chose chez vous, ce serait quoi ?

Bien parler les langues étrangères. Je ne suis pas bonne, je ne saisis pas la musique. Quel est votre héros de fiction préféré ? Sans hésitation Claudine, de Colette. Elle est libre, malicieuse, elle a le sens du non- dit. C’est Colette elle-même, en fait. Quelle est votre saison préférée ?

C’est l’été, mais je suis attentive aux bonheurs des autres saisons. L’hiver, il y a d’autres douceurs, le froid avec ce qu’il implique de s’abriter chez soi, d’entrer dans des cafés. La période estivale n’est pas la seule à me transfigur­er.

Quelle est l’oeuvre qui a changé votre vie ?

Les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. Je l’ai lu à 17 ans – le bon âge – et j’y ai retrouvé cette aspiration, que je ressentais déjà en moi, à une vie indépendan­te qui ne soit pas forcément liée à une famille. Je n’ai pas bougé de cela.

Quel est votre écrivain préféré ?

Je viens de lire le dernier livre de JeanNoël Pancrazi, Les Années manquantes. Je dois dire qu’il a un goût très fort pour le souvenir, qui me touche.

Quelle est votre plus grande peur ?

La maladie. Ça ne m’attire pas du tout. Quel plat vous vantez-vous de savoir cuisiner ?

Aucun.

Quel est l’objet que vous conservez le plus précieusem­ent ?

Je ne suis pas très portée sur les objets... Peut- être une petite poupée en papier mâché qui représente une mariée. Mon ami me l’a offerte il y a huit ans à Kyoto, au Japon. Elle est très fragile et adorable. Quel est votre passe-temps favori ? Nager, c’est sûr.

Dans quelle série ou dans quel film aimeriez-vous vivre ?

Les films de Jane Campion. Particuliè­rement pour la nature, les fleurs et la passion. Je voudrais bien être quelqu’un qui passe dans Bright Star, à côté de cette petite couturière d’Angleterre et d’un poète tuberculeu­x !

Quelle est votre devise ?

Comme Casanova se fiait à la Providence [sa devise était « sequere deum », suivre le dieu], je dirais faire confiance au hasard.

Journal de nage, coll. Fiction & Cie, éd. Seuil.

 ?? ?? Gherardo Felloni, directeur artistique de Roger Vivier, au milieu de ses créatures et de ses créations.
Gherardo Felloni, directeur artistique de Roger Vivier, au milieu de ses créatures et de ses créations.
 ?? ?? En 2019, les sosies D’Elizabeth II et Jackie Kennedy sont au coude à coude pour créer l’événement.
En 2019, les sosies D’Elizabeth II et Jackie Kennedy sont au coude à coude pour créer l’événement.
 ?? ?? Dans le hall de la Fondation Simone et Cino Del Duca pour l’édition 2022, The Secrets of the Swan.
Dans le hall de la Fondation Simone et Cino Del Duca pour l’édition 2022, The Secrets of the Swan.
 ?? ?? Présentati­on de la collection automne- hiver 2020-2021, Hôtel Vivier Sensorama.
Présentati­on de la collection automne- hiver 2020-2021, Hôtel Vivier Sensorama.

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