Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le crash de 1949 sorti de l’oubli
À travers une exposition, Serge Rincourt sort de l’oubli le crash en 1949 du prototype quadrimoteur et rend hommage aux pilotes d’essai qui ont contribué à l’essor de l’aviation française d’après-guerre
Seuls les Carçois d’un certain âge s’en souviennent encore. La mémoire s’étiole. Les inscriptions sur la stèle érigée au quartier du Coudan dès 1950, elles aussi, tendent à s’estomper. Le souvenir de ce jour d’automne 1949 n’est plus guère vivace. Ce 1er octobre à 16 h, l’exemplaire unique du quadrimoteur stratosphérique SE1010 effectue son 36e vol, au départ de Marignane, avant de s’abîmer en rase campagne, six membres d’équipage à son bord. Il n’y a aucun survivant. C’était son ultime vol de mise au point. Le prototype de la SNCASE (Société nationale de construction aéronautique du Sud-Est) ne verra jamais le jour sur les chaînes de production et son épopée sombrera bien vite dans l’oubli. Sauf pour les familles et le cercle très fermé de l’aéronautique de l’époque. C’est « pour rendre hommage à ces pionniers de la renaissance de l’aviation militaire française d’aprèsguerre » que Serge Rincourt, Carçois d’adoption depuis 1999 et passionné d’aviation, s’est replongé dans cette histoire. Un épisode de la grande saga de l’aéronautique narrée en 1979 avec force détails par André Gannivet, pilote du bimoteur Léo 453 E10 1 chargé d’escorter le 1 010 pour analyser son dernier vol. Du décollage de Marignane jusqu’aux essais de la manoeuvre dite de « vide-vite » – déverse rapide du carburant –, il consigne tous les paramètres de vol. Jusqu’au moment où le Léo, sa mission terminée, s’en retourne à sa base. Gannivet et Henri Vanderpol, le pilote du 1010, se saluent mutuellement d’un geste de la main à travers le hublot de plexiglas.
Une manoeuvre qui tourne mal
Quelques minutes plus tard, le 1010, en configuration deux moteurs coupés du même bord à une altitude de 1500 mètres, part en vrille à plat et s’écrase en à peine vingt secondes dans un champ de vigne aux abords de Carcès. Le rapport du bureau d’enquête conclura à « une surcompensation de la gouverne de direction qui échappa brutalement au pied du pilote (...) L’appareil, devenu incontrôlable à cause de sa gouverne braquée à fond, exécuta un demi-tonneau pour ensuite s’engager en une vrille à plat imparable… » Les débris de l’avion jonchent le sol. Henri Vanderpol, pilote, Pierre Bouillon, ingénieur navigant, Valéry Chasson et Ferdinand Pillet, mécaniciens navigants, Marius Rivet, radio navigant et Sylvio Agliani, ingénieur du bureau d’étude, trouvent la mort sur le coup. Gannivet raconte ensuite : « la population de la petite ville, informée par le crieur public, spontanément vient fleurir les aviateurs (...) Tard dans la soirée, la cérémonie de levée des corps se déroulait en présence du maire et des familles éplorées, amis, et d’une nombreuse assistance… »
Travail d’investigation
Pour retracer ce drame, Serge Rincourt a cherché à rencontrer les familles. Les filles Vanderpol l’accueillent à bras ouverts et lui confient « l’unique maquette en bois du prototype » afin qu’il tente de la reproduire. Dans la famille Chasson aussi, la démarche de Serge Rincourt est particulièrement appréciée. Pour donner corps à son investigation, le Carçois collecte également toute une bibliothèque d’images, pour certaines exclusives, auprès d’historiens de l’aviation. Carnets de vol, photos en vol, des membres d’équipage au sol, extrait de la citation des aviateurs à l’Ordre de la nation, etc. Mais aussi des débris originaux de l’appareil ramassés plus de soixantecinq ans après le crash. « Nous sommes allés dans le champ, munis d’une “poêle à frire” (un détecteur de métaux, ndlr), et avons retrouvé en l’espace d’une matinée plusieurs éléments appartenants au 1010. » Ces quelques miettes de l’avion, ainsi que des équipements de pilote et de nombreuses photos sont dorénavant exposées à la médiathèque de Carcès afin de rendre hommage, comme il se doit, à ces héros qui ont payé de leur vie le renouveau de l’aviation française.