Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le liège revit
Abandonnée en 2001, l’exploitation des écorces a lentement repris il y a cinq ans. La filière doit encore s’organiser et trouver des débouchés.
On prend la route des Mayons, on bifurque vers la Haute-Nasque, après le chemin de Reboul. Une piste plonge à gauche, vers les vignes. Vers un fond de vallon et une forêt de chêneslièges. « C’est l’essence la plus représentée après le pin », commente Dominique Denliker, technicien à l’Office national des forêts (ONF) et correspondant thématique pour le secteur des Maures. Gestionnaire de 3 000 hectares sous régimes communal et domanial (1), il veille sur le renouveau de quelque 600 hectares de liège. « On a repris les levées après dix ans d’interruption, due à une attaque parasitaire du Platypus Cylindrus ». Cet insecte xylophage a causé de véritables ravages en creusant galeries et petits trous dans cette écorce rendue impropre, « à une époque où le liège valait beaucoup d’argent… »
Débardage à dos d’homme
Les leveurs de liège ont repris leur déshabillage méticuleux des chênes en 2011. Cet été, dans ce coin de forêt communale à Vantaillède-basse, ils sont sept Italiens (« On n’a personne, localement, capable de lever correctement du liège »), autour d’Adriano, à frapper du « picoussin » (2). Huit heures de rang, depuis le lever du soleil, pour profiter d’une relative fraîcheur. Sans trop parler ni musarder. Il en va des bilans quotidiens à honorer : un camion (soit deux tonnes) à un camion et demi, suivant la praticité d’accès et de terrain, la qualité de l’écorce mâle ou femelle (3)… « Ici, commente le technicien forestier, ils ont ôté des lièges mâles vieux de 50 à 80 ans ! L’écorce est profondément crevassée, inadéquate pour du bouchon. C’est peu valorisé et finit en granulés, pour de l’isolation. C’est moins rémunérateur, mais, si l’on veut que cette forêt renaisse, il faut tout lever. Pour espérer de prochaines récoltes, saines, d’ici douze à quatorze ans. C’est un passage obligé ! » Daniele, Kamal, Francesca – une ex-pizzaiola et seule femme de l’équipe – et leurs collègues passent de cinq à vingt minutes par arbre. Mozart, lui, débarde, à la force du dos, à raison de 20 à 50 kg de longues écorces pour les rapprocher du véhicule 4x4 qui fera la navette jusqu’au camion. Et, de là, à Flassans pour tout entreposer. La semaine suivante, le groupe ira vers les crêtes, à Pignans, sous NotreDame-des-Anges. Pour extraire une vingtaine de tonnes de matériaux.
Le dernier bouchonnier
La face visible de ce chantier se situe à Flassans. Tout contre Château Payan et ses vignes. Sur plusieurs centaines de mètres carrés s’alignent les tas de liège, visibles de la route. En retrait, une machinerie, datant de soixante ans, est toujours utilisée par Maurice Junqué, pour faire du granulé. C’est lui qui a commandité ce travail forestier auprès d’une entreprise proche de Rome, Palitta Gavino. Lui, le dernier bouchonnier de Gonfaron, qui n’a jamais brisé son rêve de liège. « C’est le meilleur isolant qui soit. C’est sain et aucun rongeur ne l’attaque », lancet-il. Et de montrer quelques objets d’artisanat qu’il finalise, pour valoriser les plus belles écorces : des cache-pots, des coupes à fruits ou « à coquillages pour les restaurateurs du littoral ». Et du granulé par pleins sacs. « Le reste partira en Espagne ou au Portugal. Là-bas, ils possèdent toujours des usines dédiées au liège. Vingt à trente pour cent finiront en bouchons. Le reste, en granulés. »
Une économie locale
C’est le meilleur isolant qui soit. C’est sain et aucun rongeur ne l’attaque.” Maurice Junqué, dernier bouchonnier de Gonfaron
L’homme se rappelle : « Il y a cinquante ans, le liège faisait travailler deux mille personnes, en plus des emplois induits. Dans tous les villages du massif il y avait des équipes au chevet du liège, de fin mai à fin juillet. Rien qu’à Gonfaron, cinq entreprises tournaient avec trois cents emplois directs. Cette économie a disparu et, pourtant, le Var possède du beau liège. À la libéralisation des échanges avec le Portugal, en 1972, on a tué cette industrie française ; on ne pouvait plus lutter en terme de coûts de production…» Entre-temps, le liège s’est déprécié. Il faut
repasser, aujourd’hui, par l’étape du démasclage de liège vieux d’un demi-siècle pour espérer une nouvelle portée. « Il faut le travailler autrement, le valoriser localement. C’est un objectif atteignable », affirme Dominique Denliker. Mais il faudra attendre un peu avant de faire sauter le bouchon !
1. Trois mille hectares disséminés sur Gonfaron (la commune la plus boisée de son secteur), Besse, Cabasse, Flassans, Gonfaron, Le Thoronet, Le Luc et Pignans. 2. Le picoussin est l’outil du leveur : une hache dont l’extrémité du manche est biseautée pour s’immiscer entre écorce et tronc et l’en décoller. 3. Le liège originel, jamais pré levé, est mâle. Après son démasclage, un nouveau liège apparaît, produit par la «mère», cette peau rougeâtre protégeant le tronc. Naîtra le liège femelle, plus homogène et souple