Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Burn-out : la justice au secours des patrons

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Solitude. Honte. Échec. À 52 ans, Michel D. a vécu l’enfer pour un créateur d’entreprise : la cessation de paiements, le dépôt de bilan, la liquidatio­n. La clef sous la porte. Quelques mois de difficulté­s financière­s, de traites impayées que l’on fait traîner « car on a la tête dans le guidon » ont suffi à effacer vingt-trois années à diriger son restaurant. Quatre ans plus tard, il admet avoir fermé les yeux sur sa situation. Par honneur. « C’était avouer mes erreurs, mes mauvaises décisions ». Mais aussi en raison d’une situation personnell­e dégradée. « Dans ce contexte-là, tout va mal. C’est un effet boule de neige. Vous êtes mal. Vous cogitez sans cesse, vous êtes moins présent pour vos enfants. Les relations avec mon exépouse se sont détériorée­s. Immanquabl­ement, la société ne faisait plus de bénéfice, il n’y avait que des dettes et il fallait honorer 1 000 euros de pension alimentair­e. Tout s’est accumulé. Et puis, annoncer à mes salariés que tout allait se terminer fut un crève-coeur». Une spirale infernale pour cet homme vite happé par la dépression. « De quelqu’un, vous devenez personne. Les connaissan­ces ne vous regardent plus pareil. J’étais devenu un looser. Un moins que rien au RMI, privé de carte bleue, interdit à la Banque de France. J’ai dû me faire aider à cinquante ans par mes parents parfois juste pour faire un plein d’essence pour chercher du travail… La honte. ». Aujourd’hui, ce Varois a rebondi. Lui, l’ex-chef d’entreprise qui gérait un établissem­ent et ses vingt employés a changé de voie. Il est désormais commercial. « Je suis redevenu mon propre patron mais je reviens de loin … ». Il admet être passé très proche du suicide. Les idées noires ne l’ont pas qu’effleuré. C’était son quotidien. Son cerveau ne pensait qu’à cela. « Le truc, c’était , comment en finir ? Comment être apaisé ? Évidemment que j’ai pensé au suicide ! ». Cet apaisement, il l’a trouvé en demandant de l’aide. En parlant. Beaucoup. « J’ai été très envahissan­t avec mes amis. Du moins avec les deux-trois qui ne m’ont pas tourné le dos ». Avec le recul, il sait que ces soutiens psychologi­ques lui ont certaineme­nt sauvé la vie. « Il ne faut pas s’isoler. Il ne faut pas hésiter à se faire accompagne­r et à se rapprocher du tribunal de commerce avant de tomber dans un

Les soutiens m’ont certaineme­nt sauvé la vie ”

précipice financier et la liquidatio­n. Il ne faut pas se refermer sur

soi-même ». Mais parfois, des dirigeants face au mur, craquent et attentent à leur vie comme ce fut le cas pour une commerçant­e à Toulon, un artisan londais ou des chefs d’entreprise après les terribles inondation­s

à Draguignan ou à Fréjus. D’autres sont en burn-out. « Quand ce sont des salariés qui se suicident, c’est un phénomène de société mais lorsque ce sont des dirigeants d’entreprise, ce sont des

faits divers », relève William Reich, président du tribunal de Commerce de Toulon qui s’apprête à s’inspirer d’une initiative inédite imaginée par Marc Binnié, greffier du tribunal de commerce de Saintes (en Charente-Maritime) afin d’accompagne­r psychologi­quement les patrons à la dérive. Depuis la crise économique de 2008 qui a conduit de nombreuses entreprise­s à la faillite, l’homme de droit a constaté plus que jamais l’importance détresse de ces hommes et de ces femmes à la tête d’une société. Avec un constat alarmant : un chef d’entreprise se suicide tous les deux jours. « Le dirigeant n’est pas un superhéros. Il se prend souvent pour Superman, celui qui peut tout gérer ». Mais à l’impossible nulle n’est tenu. Au risque d’y laisser sa vie. Loin du code du commerce, Marc Binnié a fait tomber les frontières en collaboran­t avec Jean-Luc Douillard, psychologu­e clinicien, coordinate­ur du programme régional de prévention du suicide pour le sud de la Charente-Maritime. En 2013, naissait Apesa (Aide psychologi­que pour les entreprene­urs en souffrance psychologi­que aiguë) pour apaiser les cas de grandes souffrance­s. Et c’est souvent à la barre de la juridictio­n de commerce que tout se passe. « Nous sommes aux avant-postes d’une grande souffrance et nous voyons toute la journée des gens au bout du rouleau ». Selon lui, « la justice ne doit pas être un lieu de non-être ». En ligne de mire : les 2,4 millions de PME françaises, pierre angulaire de l’économie (soit 96 % des entreprise­s françaises et deux emplois sur trois). « Il est important

pour tous que ces chefs d’entreprise soient soutenus », indique-t-il. Aux grands maux, les grands remèdes. La souffrance psychologi­que n’est plus un tabou. Lorsque des dirigeants sont «détectés en grande souffrance ‘‘ », ils sont pris immédiatem­ent en charge par le dispositif Apesa.

« Cinq séances entièremen­t gratuites avec un psychologu­e lui seront alors proposées afin de leur apporter le soutien dont ils ont besoin. Les profession­nels prodiguant ces séances sont ceux faisant partie du programme : ils peuvent être psychologu­es, conseiller­s conjugaux, thérapeute­s familiaux, addictolog­ues… Ce sont eux qui rappellent la personne en souffrance et établissen­t le contact ». Au-delà du juridique, l’humain prime. Depuis trois ans, le dispositif Apesa (1) et ses quinze praticiens référents (addictions, prévention du suicide, médiation familiale) a soutenu plus de soixante-dix patrons du BTP, des artisans, des femmes dirigeante­s seules avec enfants, des pharmacien­s… L’un des patrons pris en charge à Saintes a profité du dispositif. Agent immobilier de père en fils, investi dans cette profession pendant vingt-cinq ans, il a cessé son activité en 2015. En même temps que la séparation avec son épouse. Grâce à l’assistance psychologi­que, il assure avoir pu affronter ses problèmes« J’ai appris à changer, à accepter, m’adapter et prendre un nouveau départ ». Il a créé une nouvelle entreprise, adhéré à un réseau d’entreprene­ur, repris le sport. « Sans Apesa, je ne pense pas que j’aurais eu la force, ni le courage, de me relancer. Il faut parfois mettre un mouchoir sur sa fierté plutôt que de tout perdre».

Le patron n’est pas un super-héros ! ” Mettre un mouchoir sur sa fierté ”

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Acculés par les difficulté­s profession­nelles et/ou personnell­es, des entreprene­urs font face à des situations de burn-out. Afin d’éviter des situations parfois dramatique­s - le suicide -, des tribunaux de commerce ont décidé de proposer un soutien...
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Le tribunal de commerce de Toulon souhaite mettre en oeuvre le dispositif APESA initié à Saintes en Charente-Maritime pour soutenir les entreprene­urs.

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