Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Préavis de grève à l’opéra de Toulon: Mozart menacé

Les musiciens et les choeurs réclament des salaires en accord avec leur convention collective, mais la direction, qui s’estime irréprocha­ble, ne l’entend pas ainsi et le blocage semble inéluctabl­e

- VIRGINIE RABISSE vrabisse@varmatin.com

Pas question que la qualité des spectacles proposés par l’opéra de Toulon ne baisse. C’est la seule note sur laquelle les musiciens, le choeur et la direction parviennen­t à accorder leurs violons. Pour le reste, l’harmonie est loin d’être au programme. À tel point qu’un préavis de grève a été déposé pour le 5 avril prochain : l’orchestre et le choeur menacent de ne pas participer à la répétition générale de L’Enlèvement au sérail de Mozart, dont la première est prévue deux jours plus tard. Les organisati­ons syndicales réclament depuis plusieurs mois que la convention collective de référence soit appliquée strictemen­t, notamment en termes de salaires. « On n’en est même pas à des revendicat­ions supplément­aires, précise Richard Garnier, artiste de choeur et délégué syndical CGT. On veut juste faire appliquer la loi. »

Points de vue opposés

Les musiciens et les choeurs jugent en effet être « payés 15 à 20 % en dessous des salaires convention­nels ». Faux, assure la direction : « Ils considèren­t les salaires sans tenir compte de la prime d’ancienneté, explique Jérôme Gay, directeur adjoint de l’opéra, alors que nous regardons l’ensemble. » Il assure que concernant les artistes de choeur, les textes sont sans ambiguïté : « Il est indiqué que le salaire minimum inclut les primes structurel­les. » S’il reconnaît que la convention collective est « moins claire »en ce qui concerne les musiciens, il insiste sur la jurisprude­nce qui, assure-t-il, va dans le sens de la direction.

« Nous sommes comme des rugbymen »

Claude-Henri Bonnet, directeur général, va plus loin. « Le salaire moyen d’un musicien est d’environ 3 000 euros net pour 60 heures de travail mensuel à l’opéra (statutaire­ment, 81 heures maximum, Ndlr) ! » Un argument que les artistes sont habitués à parer : « Nous sommes comme des rugbymen, lance Antonia Coste, alto et déléguée syndicale CFDT : nous avons besoin de temps de préparatio­n en dehors de l’opéra ! »

Cadre pas applicable

Pas franchemen­t au diapason, les parties semblent irréconcil­iables. D’autant plus que les dénonciati­ons des organisati­ons syndicales ne s’arrêtent pas là. « Les cadres, eux, sont payés 80 % de plus que les salaires de référence », lance Nathalie Marinolli, déléguée FO et comptable. Sans ciller, Claude-Henri Bonnet acquiesce. Et justifie. « Ces salaires de référence sont ceux des entreprise­s artistique­s et culturelle­s. Or 99 % de celles-ci sont des compagnies qui comptent un à trois salariés et fonctionne­nt avec des budgets allant de cinq mille à cinquante mille euros. » Autrement dit des structures bien plus petites que l’opéra. « Quand le salaire d’un dirigeant de ce type d’entreprise est de deux fois et demie le Smic, il n’est, selon le directeur, pas inconcevab­le que les dirigeants d’un établissem­ent tel que le nôtre, avec ses deux cents personnes et ses douze millions de budget annuel, soient payés plus. Il existe, en France, quatre établissem­ents qui fonctionne­nt comme nous et nos salaires sont équivalent­s. »

Partie de ping-pong

Un argument allant contre un autre, le conflit semble inextricab­le et risque même d’aller crescendo (lire ci-dessous). Là où les artistes avancent que les subvention­s ont baissé, la direction réplique par une augmentati­on de 10 % de 2004 à aujourd’hui. Là où ils invoquent un nombre de production­s en pleine érosion, Claude-Henri Bonnet avance la programmat­ion 2016 2017 et ses « soixante levers de rideau ». Là où les musiciens regrettent l’époque où ils répétaient une quinzaine de fois contre « dix ou onze aujourd’hui » pour un opéra, Christophe Cesarini, directeur technique et salarié de l’opéra depuis trente ans, rappelle que les trois semaines de préparatio­n actuelles se résumaient auparavant à une dizaine de jours. A contrario, quand la direction se targue de concession­s et avancées, comme l’attributio­n d’une prime de tenue de travail ou la prise en charge d’une mutuelle avant que la loi ne l’y contraigne, les salariés répondent « pas versée ce mois-ci »et« désormais obligatoir­e ». Dialogue de sourds. Le comble pour des profession­nels de la musique ! 1. Sur les vingt-quatre opéras de France, dix-neuf sont en régie directe. En plus de celui de Toulon, quatre sont gérés de façon privée : Montpellie­r, Lille, Rouan et Dijon.

 ?? (Photos V. R.) ?? Représenta­nts les organisati­ons syndicales – la CGT, FO et la CFDT –, René Maurin, Natacha Sedkaoui, Jérôme Bonifaccio, Richard Garnier, Antonia Coste et Nathalie Marinolli (de gauche à droite) sont prêts à accepter des rattrapage­s de salaire de façon...
(Photos V. R.) Représenta­nts les organisati­ons syndicales – la CGT, FO et la CFDT –, René Maurin, Natacha Sedkaoui, Jérôme Bonifaccio, Richard Garnier, Antonia Coste et Nathalie Marinolli (de gauche à droite) sont prêts à accepter des rattrapage­s de salaire de façon...
 ?? (Photo DR) ?? Manque de répétition, stress… Outre leurs revendicat­ions salariales, les musiciens de l’orchestre de l’opéra de Toulon jugent qu’ils ne bénéficien­t pas des conditions adéquates pour faire leur travail au mieux et répondre aux attentes du public.
(Photo DR) Manque de répétition, stress… Outre leurs revendicat­ions salariales, les musiciens de l’orchestre de l’opéra de Toulon jugent qu’ils ne bénéficien­t pas des conditions adéquates pour faire leur travail au mieux et répondre aux attentes du public.
 ??  ?? L’équipe dirigeante de l’opéra – Delphine Fontana, Claude-Henri Bonnet, Robert Cavanna (le président), Jérôme Gay et Christophe Cesarini – se dit « amère face à ce blocage » et insiste : « Il y a quand même des gens heureux à l’opéra ! »
L’équipe dirigeante de l’opéra – Delphine Fontana, Claude-Henri Bonnet, Robert Cavanna (le président), Jérôme Gay et Christophe Cesarini – se dit « amère face à ce blocage » et insiste : « Il y a quand même des gens heureux à l’opéra ! »

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