Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« La paix sociale ne s’achète pas » à Marseille

Lourdes réquisitio­ns, hier, au TGI contre des gros bras des quartiers Nord, accusés d’extorquer emplois et contrats à de grands noms du BTP, dont Bouygues

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Parce que « la paix sociale ne s’achète pas », le parquet a requis, hier, de lourdes peines de prison contre des gros bras des quartiers Nord de Marseille, accusés d’extorquer emplois et contrats à de grands noms du BTP, dont Bouygues. Les débats entamés lundi devant le tribunal correction­nel de Marseille ont mis à jour un système de racket qui « gangrène » le milieu du BTP, selon la procureure Sophie Mercier, qui a requis contre les neuf prévenus jusqu’à sept ans de prison, dont cinq ferme. « La paix sociale ne s’achète pas, […] elle se construit en sanctionna­nt fortement les actes qui lui portent atteinte », a-t-elle déclaré. Menaces armées, incendies d’engins de BTP, chantiers bloqués: en 2015, dans les quartiers Nord de Marseille « les conditions de travail deviennent tellement difficiles que les entreprise­s ne veulent plus venir », a-t-elle rappelé. La tension culmine en janvier : trois engins de chantier dont une grue à deux millions d’euros appartenan­t à Bouygues brûlent sur le chantier de la décennie à Marseille, celui de la rocade autoroutiè­re L2. Spectacula­ire, l’incendie délie les langues. Il permet de révéler les pratiques d’extorsion auxquelles des chefs de chantier se soumettent en général en silence, préférant accorder un contrat de gardiennag­e ou quelques emplois à leurs racketteur­s pour avoir la paix.

Des « médiateurs » !

« C’est le terme de gangrène qui vient à l’esprit », a résumé la magistrate hier. Les prévenus n’hésitaient pas à se présenter comme des « médiateurs » avant de menacer : si l’entreprise ne signait pas, le quartier où se déroulait le chantier allait « exploser ». Sur les bancs des prévenus, « on se gargarise avec une certaine hypocrisie de [ses] origines » sociales modestes « pour instrument­aliser une population en difficulté, qui n’en demandait pas tant », a souligné la magistrate. Hier, les peines les plus lourdes ont été requises à l’encontre des quatre Marseillai­s cités par plusieurs victimes comme les responsabl­es du racket. Sept ans de prison dont deux avec sursis ont été requis contre Rafik Zeroual, le gérant de la société Télésurvei­llance Gardiennag­e Interventi­on (TGI). Pour TGI, le racket était «une activité intégrée, habituelle », selon la procureure. L’homme de 43 ans en tirait 7 à 8 000 par mois. Même réquisitio­n pour ses deux hommes de main présumés : Halid Compaoré, 39 ans, et Hadj Abdelkrim Bensaci, 41 ans, sont accusés d’avoir terrorisé chefs de chantier et cadres de plusieurs entreprise­s pour arriver à leurs fins. Dans une écoute lue lors du réquisitoi­re, M. Bensaci explique à M. Zeroual qu’il compte menacer de s’en prendre à un responsabl­e de chantier et à ses enfants. « Je vais lui dire : “Moi dans ton bureau, je t’enc **** ”[…] je vais lui dire : “Nous à Marseille, 50 euros, on plante, on tire, on fait le bordel” ». Quant à M. Compaoré, 39 ans, «médiateur autoprocla­mé » il n’hésitait pas d’un côté à se faire inviter à des réunions en préfecture, tout en «négociant », manu militari, de l’autre avec les responsabl­es des travaux, l’arme à la main ou en instrument­alisant des jeunes pour qu’ils bloquent un chantier. Le quatrième rouage essentiel de ce « système organisé », selon l’accusation, est Karim Ziani, 45 ans, qui « pratiquait habituelle­ment la menace et la pression ». Il aurait conduit les entreprene­urs, à la recherche d’un relais auprès de la population, dans la gueule du loup, les gros bras de TGI. Cinq ans de prison ferme ont été requis à son encontre. Depuis l’arrestatio­n de ces quatre principaux prévenus, « force est de constater que seuls des problèmes marginaux se sont posés » aux entreprise­s de BTP à Marseille : plus de « destructio­ns d’engins spectacula­ires sur les chantiers, plus de plaintes pour extorsion », s’est félicitée la procureure. Elle a requis d’un an de prison avec sursis à un an ferme contre les cinq autres prévenus. Leurs comparutio­ns ont jeté une lumière peu glorieuse sur le milieu des entreprise­s de sécurité : exercice du métier sans aucune autorisati­on, fraude fiscale systématiq­ue, abus de biens sociaux chroniques… Le procès se poursuit lundi.

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(Photo AFP) Dans les quartiers nord de Marseille, un système de racket a gangréné le milieu du BTP.

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