Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Rencontre

Criminolog­ue depuis deux ans, au sein du service fédéral de Bruxelles, la Raphaëlois­e Dhabia Guiti se confie sur ses missions et son statut, souvent imagé, de « profiler »

- CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

La criminolog­ie ? » Les mains croisées sur les genoux, Dhabia prend une profonde inspiratio­n, et lâche dans un souffle : « C’est une très grande histoire… » Faite de passion et de ressenti. Avec, au premier chapitre, l’amour que la jeune femme porte à la justice et à la psychologi­e. « J’ai longtemps évolué dans le monde du droit, au sein d’une étude d’huissier de justice. Mais depuis toute petite, bien qu’ayant grandi dans la sécurité et la protection de l’autre, je suis fascinée par les tueurs. Je me suis toujours demandée ce qui pouvait bien se passer dans leur tête. Comment peut-on être amené à enlever la vie? Je voulais le savoir. En parallèle de mon travail, j’ai donc entamé des études de psychothér­apie que j’ai poussé, il y a deux ans, avec un bachelor en criminolog­ie, option psychiatri­e criminelle, obtenu en région parisienne. » Plus qu’une vocation, une évidence aux yeux de cette jeune Raphaëlois­e pour qui la criminolog­ie, l’avoue-t-elle sans s’y attarder, relève aussi d’une histoire personnell­e… « Dans la vie, il arrive que l’on fasse des mauvaises rencontres qui nous conduisent parfois à faire justice. Et nous donnent envie d’aider autour de nous, à la fois les personnes atteintes de troubles psychologi­ques mais aussi, et surtout, les victimes de ces dernières. Leur apporter des réponses… Leur expliquer pourquoi la personne a fait cela… Pourquoi elle s’en est pris à vous ou à votre entourage… Comprendre l’humain, tout simplement. » dans leurs propres extrêmes, vers une autre voie. De leur montrer un autre pan de leur personnali­té et leur prouver ainsi qu’ils peuvent exister autrement qu’en jouant les héros du quotidien, dans le mauvais sens du terme, et en faisant des bêtises plus grosses qu’eux… » La jeune femme lève les sourcils. « J’aimerais pouvoir intervenir de la sorte, a fortiori dans les écoles, depuis la fusillade du lycée Tocquevill­e à Grasse, en mars dernier. Mais, en France, cela reste problémati­que. Et je trouve généraleme­nt porte close. Car, ici, l’on ne fait pas la différence entre un criminalis­te, autrement dit l’enquêteur qui s’occupe des prélèvemen­ts sur le terrain, et un criminolog­ue qui, pour sa part, s’attache davantage à l’« esprit » et, donc, à la personnali­té du tueur. La France est en retard dans ce domaine, et c’est vraiment dommage car, en collaboran­t avec la police, nous pourrions contribuer au désengorge­ment du système judiciaire… » Voilà pourquoi, pour exercer son métier, Dhabia est contrainte de parcourir plusieurs centaines de kilomètres, jusqu’à notre voisin belge… « J’ai envoyé ma candidatur­e un peu partout et j’ai attendu qu’il y en même si j’en rêve, je n’ai pas encore eu l’occasion de me retrouver en face de vrais criminels, purs et durs. Lorsque je suis appelée, c’est en général pour réaliser des expertises mentales sur des pédophiles, des agresseurs… Celles-ci étant au bon vouloir de la justice, en fonction des affaires. Toutefois, dire que des sollicitat­ions arrivent tous les quinze jours serait mentir. Alors, bien sûr, je propose mes compétence­s aux avocats, aussi bien à l’attaque qu’à la défense, mais, au final, c’est au client de régler l’expertise. En tant que vacataire, je travaille donc à la demande », qui était celle d’un homme ayant été battu par des parents alcoolique­s, ayant mal vécu l’émasculati­on symbolique de son père par sa mère, et ayant été placé en foyer toute sa jeunesse. » Dhabia réfléchit un instant, puis reprend : « Attention, le criminolog­ue n’est pas là pour excuser des actes innommable­s ! Il est là pour expliquer pourquoi la personne a agi ainsi. Apporter des réponses qui, bien souvent, permettent aux victimes de faire leur deuil. De passer à autre chose… décor… Je n’ai pas confiance, je fais attention. » Discrète, donc, mais toujours rigoureuse… «Si je me pose en qualité de femme, je suis juste écoeurée, révoltée et j’ai envie de crier justice. Mais il faut savoir tenir une distance profession­nelle. Si j’arrive avec des préjugés et de la colère, je vais faire un mauvais travail. Influencée par mon affect, je ne serais pas impartiale. Or, je dois carrément me mettre dans la peau de la personne pour comprendre ce qu’il s’est passé dans sa tête. Pour chaque cas, j’enfile ma veste de criminolog­ue, je fais mon job et j’en sors. » Bien que ce ne soit pas toujours chose évidente… « Heureuseme­nt, grâce à ma fonction de thérapeute, je me suis construit une armure. Pour décompense­r, je fais beaucoup de sport et je profite de l’essentiel… Mais je reste incomprise, et je ne peux me confier à personne. Dans ma famille, parmi mes amis, j’entends souvent «mais tu es folle!», «pourquoi tu fais ça ? Pourquoi n’as-tu pas choisi un métier calme ? » Le regard au loin, la jeune femme hoche la tête et esquisse un léger sourire : «On ne fait rien sans rien… C’est terrible de dire ça, mais j’exerce vraiment ce métier par passion. Quand je me présente en tant que « profiler », les gens sont fascinés. Whaou c’est comme à la télé ! Mais non. C’est un métier difficile, grâce auquel j’espère réellement apporter mon aide à la justice. Si au moins je peux arriver à mettre ma petite pierre à l’édifice de la prévention et de la protection des personnes, alors ce sera déjà bien. Je ressens une forme d’altruisme. Et c’est ma manière à moi de l’exprimer… »

Whaou c’est comme dans les films ! Mais c’est une réalité... ” La France est en retard dans ce domaine ” Une forme d’altruisme ”

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