Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Cellule Cannes-Torcy : les énigmes de Jérémy Bailly
Seul leader de la bande encore en vie, ce Sarcellois se serait converti à l’islam lors d’un séjour dans le Var. La Cour d’assises spéciale de Paris tente de comprendre comment il s’est radicalisé
Un jour, j’ai tué un poisson et ça m’a fait mal au coeur. J’ai demandé à mon ami de faire une prière. Puis de m’en apprendre une. Ensuite, j’ai suivi le ramadan avec eux. Par conviction... » L’épisode remonte à l’été 2010. Jérémy Bailly séjourne alors chez un ami musulman dans le Var, à Hyères. Anecdotique de prime abord, cet épisode marquerait l’amorce de conversion à l’islam du jeune Sarcellois. À son retour en région parisienne, il commence à fréquenter la mosquée de Torcy. Bientôt, son cercle d’amis se restreint aux seuls fidèles. En particulier à un homme rencontré devant la mosquée : Jérémie Louis-Sidney. « JLS » va s’imposer en leader charismatique de la cellule terroriste Cannes-Torcy. Bailly, lui, sera son « bras droit » assumé. Louis-Sidney finira par tomber sous les balles de la police, le 6 octobre 2012, lors d’un vaste coup de filet contre sa bande. Par défaut, Bailly est le plus « haut gradé » des dix-sept accusés qui comparaissent, depuis jeudi, devant la Cour d’assises spéciale de Paris (lire nos précédentes éditions).
« Fumette et banditisme »
Hier, sa personnalité, son parcours sont au coeur des débats. L’enjeu est de taille et tristement d’actualité : comprendre les mécanismes de radicalisation qui l’ont mené au djihad. Bailly est accusé d’avoir accompagné Louis-Sidney lors de l’attaque à la grenade d’une épicerie casher – ce qu’il nie. Accusé, aussi, d’avoir embrigadé plusieurs membres du groupe. D’avoir conçu des projets d’attentats à l’explosif ou à l’arme de poing. Et d’avoir volé des véhicules, commis des extorsions pour financer et réaliser ces projets. Rien, pourtant, ne semblait le prédisposer à semblable dérive. Né le 14 septembre 1987 à Sarcelles, Jérémy Bailly est un enfant unique « très désiré », dixit sa mère Chantal. Le divorce parental, la mort d’une grand-mère viendront bouleverser cet équilibre intime. À l’adolescence, Jérémy commence à décrocher en cours. Il se montre plus adroit avec l’équipe de foot de l’US Torcy, tout comme au jeu des yamakasi. Mais le sport-études tourne court. Bailly enchaînera ensuite de petits boulots, puis ses premiers délits. « À l’époque, c’était fumette et banditisme... » Dans le box, Bailly, manifestement soulagé d’être tiré de l’isolement, apparaît décontracté, voire rigolard. À 29 ans, il arbore une barbe hirsute et de longs cheveux, qui allongent son visage et lui confèrent un air de gourou un peu halluciné. La religion ? Il a quitté le christianisme pour le rastafarisme, a été approché par les témoins de Jéhovah, avant de rejoindre l’islam. «Sur le coup, je n’ai pas compris. Ensuite, j’ai eu peur, témoigne sa mère à la barre. On en a discuté. Je l’ai trouvé posé, serein... » Chantal Bailly ne découvrira que plus tard combien son fils a été embrigadé. « C’est pas un gosse pourri ! Juste un gosse qui a été une proie pour un terroriste », s’exclame-t-elle, gorge étranglée, en présentant ses excuses aux parties civiles. Patrick Bailly, quant à lui, renvoie l’image terrible d’un père désemparé. « Viscéralement, ça reste notre enfant. On sait qu’au fond, il n’est pas comme ça... »
« J’étais perché »
À ses dires, Jérémy Bailly a toujours haï l’injustice. Haï cette misère qui l’a révolté en République dominicaine, puis lors d’un séjour humanitaire au Burkina Faso. L’injustice, il décidera de la combattre à sa façon. En se faisant prosélyte d’un islam assimilé à sa manière. En concevant des projets d’attentats antisémites et des explosifs conçus à base de cocottes-minute. « A l’époque, j’étais perché », admet Jérémy Bailly, qui assure avoir changé. Vraiment ? Son attitude en prison intrigue le président Philippe Roux et l’avocat général Philippe Courroye. Début 2013, des courriers inquiétants ont été interceptés alors que Bailly était incarcéré. Il y exhortait ses destinataires à faire des recherches sur des juges antiterroristes, des agents de la DGSI, à envisager de prendre en otage une directrice de prison. « Il était perché », confirme sa mère. Mais selon Chantal Bailly, son fils n’est « pas dangereux. Il a compris ». Après l’attaque au camion à Nice, son fils avait « les larmes aux yeux. Il m’a dit : “Ils n’ont rien compris. C’est pas ça, l’islam...” » Bailly ruse-t-il ? Pratique-t-il la taqiya, la dissimulation des djihadistes faussement repentis ? Philippe Courroye en paraît persuadé, à la différence des avocats Georges Sauveur et Anne-Sophie Laguens. Patrick Bailly, lui, estime au contraire que « l’isolement lui a permis de se retrouver. J’espère qu’il sera puni uniquement pour ce qu’il a fait. Et qu’il ne servira pas d’exemple. »