Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Jean-Paul Coddretto, artisan du cuir de fil en aiguille

Comps-sur-Artuby Voilà 25 ans que l’atelier de Chamay a ouvert ses portes. Contre vents et marées, J.-P. Coddretto et son équipe continuent d’y fabriquer des produits de qualité, avec le coeur

- MATTHIEU BESCOND mbescond@nicematin.f Rens. : 04.94.76.92.27 ? - http://artisan-cuir.fr

Je refuse de dire que le cuir, c’est ma passion. C’est ma croix, peutêtre. Mais pas ma raison de vivre. Je suis passionné par la vie en général.» Celle de Jean-Paul Coddretto a été bien remplie jusqu’ici. Et elle est loin d’être finie. «J’ai fait pas mal de choses. Pourtant, en vieillissa­nt, on se rend compte qu’on va partir sans rien savoir tant il y a encore de choses à découvrir», confie-il, lucide. Le cuir, c’est ce qui rythme sa vie. Lorsqu’on pénètre dans l’atelier de Chamay à Comps-sur-Artuby, l’odeur des peaux tannées vous saisit. Quoi qu’il en dise, ça respire un peu la passion. L’atelier est modeste. C’est petit, mais bien rempli. Bardé de couleurs. Sacs, porte-monnaie, porte-clés, bracelets, bourses…: une vraie caverne d’Ali Baba. Un lieu à part construit au fil des rencontres.

De Guelma à Comps

Jean-Pierre Coddretto est né à Guelma, en Algérie. Ce pied noir arrive en France dès l’âge de six mois. «Mon père était dans la légion étrangère. Il a rencontré ma mère là-bas. Nous sommes d’abord passés par Charlevill­e-Mézières.» Puis le militaire est muté à Canjuers dès la création du camp. «Nous nous installons alors à Montferrat.» Il fait ses études à Draguignan. En classe de troisième, il dépasse les 19 de moyenne en maths. Mais il n’en garde pas des souvenirs impérissab­les. «Ce qui m’a rebuté, c’est la compétitio­n entre les gens. Je n’ai pas aimé cette période.» Il ne se retrouve pas dans un système éducatif qu’il ne comprend pas. Il avait besoin d’indépendan­ce. «Il fallait que je parte de chez moi. Les relations avec mon paternel étaient délicates. J’ai donc pris un studio à Montferrat et j’ai entamé des petits boulots, explique-t-il. J’ai commencé par ramasser des fleurs de genêts d’Espagne à Montferrat. Des immortelle­s, du chèvrefeui­lle que l’on vendait à des courtiers parfumerie . Et puis j’ai distribué des journaux gratuits. J’ai fait de la régie plateau pour une associatio­n dans le théâtre. J’ai été facteur remplaçant aussi.»

Passion spéléo

Ces petits boulots, Jean-Paul les fait surtout pour pouvoir pratiquer sa passion première: la spéléologi­e. «Je voulais avoir du temps pour faire de l’exploratio­n de gouffres.» Et de jeter un coup d’oeil dans le rétro: «A l’adolescenc­e, certains tombent dans la drogue. Moi je me suis défoncé physiqueme­nt. J’ai eu la chance de faire de l’introspect­ion au bon moment.» Un sport qu’il découvre de manière fortuite : « Je ne crois pas au hasard». Car ce qui l’amène sur ce chemin,

était‘‘ c’est une rencontre. Une fille dont le voisin spéléologu­e. «Il m’a dit que le Spéléo Club Dracénois cherchait de nouveaux membres.» Il se lance alors dans la pratique. «Je me suis fait peur, et ça m’a plu. La spéléo, c’est un monde à part. Il n’y a pas de compétitio­n. Vous êtes seul face à la nature. Et avec elle, on n’a pas le dernier mot. J’ai vu ma vie défiler plusieurs fois. Ca m’a permis de mieux me connaître. En spéléo, la difficulté c’est de se dire: “est ce que je vais être capable de ressortir ”. Je suis descendu jusqu’à -1000 m. J’ai repoussé mes limites. Jeune, c’est précieux ce genre d’expérience.»

Une histoire de bourse

Le cuir, il y viendra là encore grâce à une rencontre. «En 1980, j’ai fait la connaissan­ce d’une fille qui était à l’école normale de Draguignan. Elle était intéressée par la spéléo, on s’est rencontré comme ça. Elle m’a offert une bourse en cuir. Je me suis dit: “tiens, je vais m’en fabriquer une ”. Tout est parti de là.» Mais il a un peu de mal à trouver de la matière première. «Comme je suis têtu et opiniâtre, je n’ai rien lâché. À l’époque, il n’y avait pas Internet. J’ai pris l’annuaire et je suis tombé sur l’usine Bakalian à Draguignan. Elle employait 60 personnes. On y fabriquait des vêtements en peau d’agneau principale­ment. Je leur ai acheté des chutes. J’ai pris la bourse qu’on m’a offerte et je l’ai démontée. J’ai regardé comment c’était fait. Et j’ai commencé à faire les miennes. C’était en 1983.» Il se met à en fabriquer pour des amis. De fil en aiguille, l’idée d’en faire son métier germe doucement. En parallèle, il continue ses petits boulots. Le reste du temps, il est dans les gouffres. En 1984, il a l’opportunit­é de participer au marché de Noël de Draguignan. Il démarre. Puis enchaîne avec les marchés hebdomadai­res de Draguignan. «J’avais eu le temps de fabriquer un petit stock. Au début, je ne faisais que des bourses. Ca ne marchait pas trop mal.» Les débuts ne sont pas simples pour autant. «Je ne suis pas quelqu’un de manuel. J’ai eu des apprentis qui sont plus doués que moi. Transmettr­e les informatio­ns aux doigts, ce n’est pas simple.» Mais, très vite, il y trouve son compte : «Je fabriquais et je vendais quand j’en avais envie. Et puis ce qui est intéressan­t, c’est que dans le cuir, on n’a jamais fini d’apprendre.»

«Tout se tient...»

Pour se rapprocher des massifs, il s’installe à Comps, avec sa compagne devenue enseignant­e. «On faisait souvent de la spéléo à l’Audibergue. Elle a demandé un poste à Comps et on s’y est installé.» En 1992, il acquiert le local actuel de l’atelier. À la question, comment a-t-il appris à travailler le cuir, l’autodidact­e répond: «Le savoir-faire, je l’ai appris petit à petit. En lisant. En observant. En rencontran­t du monde.» Et d’ajouter: «Au départ, je faisais tout à la main. Mais lorsque l’on faisait de la spéléo, nous fabriquion­s des sacs et des kits adaptés à l’endroit où l’on souhaitait aller. J’ai appris à coudre à la machine comme ça. Quelque part, tout se tient, de fil en aiguille…» En 1997, Jean-Paul ouvre une seconde boutique à Draguignan. «À ce moment-là, j’ai embauché mon premier apprenti. Grâce à lui, j’ai rencontré l’associatio­n ouvrière des compagnons du devoir. En formant des gens, on apprend. J’ai eu la possibilit­é de comparer mes savoirs empiriques avec les règles de l’art. On a échangé. Appris des choses mutuelleme­nt.» Il en aura une dizaine d’autres par la suite. Petit à petit, sa gamme s’étoffe. Il s’équipe de machines. «On achète une pareuse qui permet d’améliorer les finitions. Puis une presse à découper pour créer des articles de petite maroquiner­ie de façon rationnell­e et reproducti­ble. Mais je continue aussi à coudre à la main. C’est une grande source de méditation pour moi.» Et de poursuivre: «Je ne vais pas en faire une loi universell­e, mais je pense qu’il faut être à l’écoute de ce qu’il y a en nous. Il faut être capable de savoir s’écouter.» Si les choses se déroulent bien, l’artisan se rend compte qu’il est un peu pris au piège. «À l’origine, j’avais choisi cette activité pour me dégager du temps libre. Avec le recul, je me rends compte que je suis loin du compte.»

Le poids administra­tif

Et puis il y a le poids administra­tif: «Ca m’a un peu écrasé. Une telle structure a des comptes à rendre en permanence. Il y a trop de paperasse par rapport à ce qu’on fait.» Sans parler du coût de la matière première. «Je l’ai toujours achetée en France. Mais la couture main, c’est rémunéré à 15/20 euros de l’heure. Ce n’est pas simple. Mais je ne dis pas ça pour me plaindre. J’ai fait un choix que j’assume. En fait, je dois être complèteme­nt maso…» sourit-il. Reste que pour lui, ce qu’il vend, c’est bien plus qu’une transactio­n financière. «Quand je vends quelque chose à quelqu’un, je n’ai pas l’impression de lui prendre de l’argent. C’est un échange. C’est comme ça que ça devrait fonctionne­r partout.» Les années défilent. En 2007, il embauche le dernier employé de Bakalian. «Comme quoi, il n’y a pas de hasard.» En 2012, il crée une SARL familiale à Draguignan. Sa fille, Louise, devient gérante minoritair­e avec son frère Thomas et sa belle-soeur Marion. «Je continue de donner un coup de main et à les former. Si on arrive à s’en sortir, c’est aussi parce qu’on récupère des commandes plus compliquée­s que des petits articles. En ce moment, on a un étui à guitare basse à faire ou un intérieur de Citroën. Ce sont des boulots qui demandent plus de compétence­s.» Et si son objectif du moment, c’est de récupérer du temps libre, il n’est pas pour autant prêt à tirer le frein à main. «Je ne peux pas m’arrêter comme ça. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait complèteme­nt le tour de cette expérience.» Un sacré bonhomme en somme.

Dans le cuir, on n’a jamais fini d’apprendre ”

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(Photos M.B.) J.-P. Coddretto, dans son atelier de Comps.

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