Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Michèle Cotta: «Les débats révèlent des tempéraments»
Alors qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’affronteront ce soir à 21 h sur TF1 et France 2, notre éditorialiste, qui a animé ceux de 1981 et 1988, nuance l’impact des débats sur le vote
Notre éditorialiste Michèle Cotta, qui présida notamment Radio France et La Haute autorité de la communication audiovisuelle, a aussi à son palmarès deux animations de débat de second tour : celui de 1981 entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, puis celui de 1988 entre ce même Mitterrand et Jacques Chirac. Elle nous raconte les enjeux et les dessous de cette joute finale télévisuelle, inaugurée en 1974.
Combien de voix ce débat de second tour peut-il déplacer ? C’est difficile à dire. On n’a jamais de preuves qu’un débat ait fait varier le vote dans un sens ou dans un autre. L’expérience montre que les débats pèsent assez peu sur le résultat final. Contre Nicolas Sarkozy, François Hollande était déjà en tête dans les sondages. Même chose pour Mitterrand face à Chirac en . En revanche, il est assez facile d’évaluer qui a gagné et qui a perdu à la fin du débat, même si ça ne change pas forcément le vote des électeurs. En , Valéry Giscard d’Estaing avait gagné sur une phrase : « Vous n’avez pas, M. Mitterrand, le monopole du coeur. » Cela avait déconcentré Mitterrand, il me l’avait dit après, et il avait eu alors deux ou trois minutes de réel flottement. À l’inverse, Mitterrand a fait vaciller Giscard sept ans plus tard, lorsqu’il a répliqué au Président sortant, qui le traitait « d’homme du passé », « quel dommage que vous soyez devenu l’homme du passif », ce qui a déstabilisé Giscard. Mais les sondages donnaient déjà l’avantage à Mitterrand avant le débat. Ces débats ne déplacent donc pas beaucoup de voix, sinon marginalement. Mais ils révèlent des tempéraments.
Mitterrand était-il très tendu en , après avoir été dominé par Giscard dans le débat de ? Il était dans un état d’esprit tout à fait particulier. Je suis persuadée que, pendant sept ans, il a pensé à ce débat et s’est demandé ce qu’il pourrait balancer comme phrase glaçante. Il a essayé dans ses meetings une ou deux formules qui ont marché, dont celle sur « l’homme du passif », qui avait fait rire les gens et qu’il a donc resservie lors du débat. On a vraiment eu l’impression qu’il n’avait pensé qu’à sa revanche durant sept ans.
Mitterrand partait de loin. Lors de sa première présidentielle, en , il paraissait totalement perdu lorsqu’il devait s’exprimer face à une caméra… En , l’opposition ne passait jamais à la télévision, il n’avait donc jamais fait de télé. C’était une question de génération, lui n’avait pas été élevé avec la télévision et autant il était bon à la radio, autant devant les caméras il se sentait mal, il n’était pas à l’aise. Mais en , il avait acquis la maîtrise de cet outil.
Le meilleur débat ? Du point de vue de la dramaturgie, ce fut celui de entre Chirac et Mitterrand, parce qu’on sentait deux personnalités en opposition frontale. À l’époque, après ça s’est arrangé, on sentait une sorte, non pas de haine, mais de désaccord fondamental entre les deux hommes. Le plus important a toutefois été celui de qui a marqué la première alternance politique de la Ve République. Ce fut le débat le plus chargé sur le plan du fond, des idées.
Le plus mauvais débat ? Celui opposant Jospin à Chirac, en , n’a pas été bon dans la mesure où il a été bien trop technocratique. Ils ont essayé d’éviter de faire la moindre faute et se sont trop contenus l’un et l’autre. Ce ne fut pas un débat présidentiel, mais un débat de deux Premiers ministres.
Quels souvenirs gardez-vous des débats de et ? J’ai le souvenir d’une espèce de bulle. Les journalistes n’avaient pas le droit d’approcher les hommes politiques avant. C’étaient les états-majors qui se mettaient d’accord sur le déroulement du débat, l’écartement des tables, etc. Nous avions quand même l’impression de moments historiques, avec vingt millions de Français qui regardaient, même si maintenant ils sont beaucoup plus nombreux encore. Il n’y avait en tout cas aucune complicité entre les candidats. Juste une politesse glacée entre Giscard et Mitterrand, et une vraie animosité réciproque entre Chirac et Mitterrand. C’était un vrai affrontement, avec une vraie volonté d’écraser l’autre.