Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Terrorisme : le Sahel, région de tous les dangers
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octeur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Il est l’invité aujourd’hui à Toulon de la Fondation méditerranéenne des hautes études stratégiques (FMES), dans le cadre de ses conférences. Au programme : « le Sahel, un enjeu international ». Entretien.
Pourquoi le Sahel est-il un enjeu international ? Certains États, en n’assurant pas la sécurité de l’ensemble de leur population, en ne maintenant pas l’ordre légal sur la totalité de leur territoire, en ne contrôlant pas leurs frontières, offrent des opportunités à des groupes criminels transnationaux ou à des organisations terroristes. Transit, stockage, entraînement, cantonnement, détention d’otages, autant de possibilités saisies, dont les conséquences nuisent non seulement au Sahel, mais aussi à l’ensemble de la planète. Les difficultés placent une partie de la population devant une alternative préoccupante pour tout le monde : rejoindre les bandes armées illégales ou émigrer vers l’Europe. Plusieurs pays non-africains — comme la France — sont engagés à divers titres dans la région : exploitation de matières premières, commerce, accords diplomatiques et/ou militaires, présence de ressortissants, influence culturelle, notamment.
Depuis le début de son intervention au Mali, la France a déjà perdu soldats. Pour quels résultats? Le Mali concentre une grande partie des opérations car il est le “ventre mou “du Sahel. Mais, depuis le août , avec l’opération Barkhane, les troupes françaises combattent également en Mauritanie, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad. Le bilan d’étape est mitigé. Les concentrations importantes de djihadistes ont été dispersées, une partie de ces derniers ont été tués ou capturés, des armes et du matériel ont été saisis ou détruits. Toutefois, l’insécurité demeure : engins explosifs improvisés, attentats suicides. En , le nombre des actions terroristes aurait dépassé le pic de . Les observateurs notent que Al Qaïda au Maghreb islamique-AQMI mène des opérations de plus en plus complexes. Le groupe terroriste améliore ses capacités opérationnelles, parvient à recruter dans la population locale, cible les pays participant à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali pour tenter d’en tarir les effectifs et de la contraindre au retrait.
Le Mali a-t-il retrouvé stabilité ? Unité ? En juin , le gouvernement et la coordination des mouvements de l’Azawad (Touareg) avaient signé un accord censé ramener la paix et la sécurité. Le bilan est décevant. L’État s’avère incapable d’assurer partout la sécurité. La classe politique ne s’entend pas pour construire un pouvoir d’État solide et impartial, capable de concevoir et d’appliquer un programme de réconciliation nationale. Cette faiblesse étatique entretient les conflits intercommunautaires, alors que les djihadistes en parasitent les mécanismes traditionnels de régulation et de médiation. Il semble que le processus de paix se réduise à un marchandage autour de la distribution des postes et des subsides entre les représentants des différents groupes (ethniques, tribaux, claniques, religieux). Cela ne témoigne pas d’une volonté réelle de réconciliation.
Face à un ennemi insaisissable, on a l’impression que les opérations militaires pourraient durer des années ... AQMI s’adapte en permanence au contexte militaire et noue des relations étroites avec les populations. La gageure consiste à éradiquer le plus rapidement possible les djihadistes, tout en éliminant les raisons qui amènent une partie de la population à les soutenir : absence de sécurité et de justice, administration inexistante ou gangrenée par la corruption, pauvreté, chômage massif des jeunes, en particulier. Il convient donc d’élaborer une stratégie intégrée, alliant une action pour le rétablissement et le maintien de la sécurité avec une politique de développement. C’est ce que tente de mettre en oeuvre l’ONU.
Le risque de contagion aux pays voisins est-il toujours aussi élevé ? Le mélange de frustrations politiques, économiques, sociales et communautaires, favorable à la propagande et à l’implantation des djihadistes, se retrouve, avec des nuances locales, dans les quatre pays du Sahel (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Tchad) associés au Mali dans le G Sahel. La marginalisation suscite le mécontentement de l’ensemble des populations des régions périphériques, notamment des millions de Peuls disséminés dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Les musulmans du Sahel connurent les thèses salafistes bien avant l’arrivée des prédicateurs saoudiens et des combattants d’Al Qaïda. Paradoxalement, les succès remportés par la France et ses alliés dans le nord du Mali ont contribué à l’extension de la menace. Ils ont provoqué la dispersion des combattants survivants et de leurs armes dans toute la région, jusqu’au sud de la Libye et au nord du Nigéria.
L’Algérie joue-t-elle pleinement le jeu dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel ? L’attitude algérienne est ambivalente. D’une part, Alger souhaite l’affaiblissement d’AQMI, né sur son sol et continue d’y opérer. La déstabilisation du Sahel risque d’agiter les populations et de menacer les infrastructures pétrolières et gazières du sud du pays. Par conséquent, l’Algérie coopère avec ses voisins sahéliens et facilite les opérations aériennes françaises. Mais Alger utilise le Sahel comme réceptacle d’une partie des combattants d’AQMI chassés de son territoire et ne tient pas à ce qu’ils reviennent. Les trafics illicites transitant par le Sahel et le Sahara profiteraient à certains cadres politiques et militaires qui n’auraient par conséquent aucun intérêt à l’établissement de la loi et de l’ordre au Sahel. Selon certains, l’Algérie verrait dans un renforcement de la présence française à ses frontières un obstacle à l’affirmation de sa puissance dans la région.
D’autres nations occidentales que la France ne doivent-elles pas s’impliquer davantage au Sahel ? L’ampleur de la tâche est gigantesque : un engagement militaire important et un investissement financier de grande ampleur, étalés sur une longue période. La France seule n’en a pas les moyens. Outre l’Union africaine et plusieurs organisations régionales du continent, l’Union européenne et les États-Unis sont engagés. Ajoutons l’ONU et une partie de ses organismes spécialisés, largement financés par les Occidentaux. Cette pléthore d’intervenants — parfois concurrents, voire rivaux — pose la question de la cohérence, de la pertinence et de la pérennité des programmes d’assistance ainsi que de leur financement. Il importe de s’inscrire dans la longue durée, de répartir efficacement entre la sécurité et l’amélioration des conditions de vie, ainsi que d’éviter d’apparaître comme des forces d’occupation. L’ombre de l’échec en Afghanistan plane sur le Sahel. Conférence aujourd’hui, de 18 h 30 à 20 h à la Maison du Numérique et de l’Innovation, place Georges-Pompidou à Toulon. Gratuit pour les adhérents de la FMES et les étudiants, 10€ (ou 15€ par couple) pour les autres. Inscription obligatoire sur le site : www.fmes-france.org