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Dany Laferrière : « Sans livre, je suis en danger » Hyères

L’auteur québécois, né en Haïti, est l’invité d’honneur de la fête du livre qui débute ce matin au forum du casino. Élu à l’Académie française, il n’envisage pas de vivre sans lire ni écrire

- RECUEILLI PAR SYLVAIN MOUHOT

Fils d’un intellectu­el et homme politique haïtien, et d’une mère archiviste à la mairie de Port-au-Prince, Dany Laferrière a passé une grande part de son enfance auprès de sa grand-mère, Da, dans un univers onirique où la nature rayonne. On retrouve ces moments de grâce dans les romans L’Odeur du café et Le Charme des après-midi sans fin. À l’âge de 23 ans, il quitte son île natale pour Montréal après la mort de son meilleur ami, journalist­e comme lui, imputable à la dictature Duvalier. Au Québec, il enchaîne les petits boulots, développe son goût de la lecture et rêve d’imiter Jorge-Luis Borges, Charles Bukowski et Henry Miller qui figurent parmi ses favoris. En 1985 , il signe un premier roman tonitruant, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Suivra notamment L’Énigme du retour qui lui vaut le prix Médicis et le prix internatio­nal de littératur­e décerné par la Maison des cultures du monde. Il est le deuxième écrivain noir après Senghor à être élu à l’Académie française en 2013, au siège de Montesquie­u et d’Alexandre Dumas fils.

Êtes-vous déjà venu dans le Var, quel souvenir en conservezv­ous ? Oui, je suis venu une fois à Toulon pour faire une signature mais il n’y avait personne. Il pleuvait, il pleuvait… Je me souviens d’une soirée extraordin­aire dans un restaurant avec les libraires qui m’ont accueilli !

Dans l’Éloge de l’alphabet , un texte publié en 2016, vous écrivez : « Je n’ai jamais pu dissocier la lecture de l’écriture, ni le voyage qu’elles facilitent. On lit pour quitter le monde dans lequel on se trouve et on fait de même en écrivant ». Auriez-vous pu vivre votre vie sans lire ni écrire ? Cela sert-il à quelque chose de penser à un tel cauchemar ? Je suis constitué, tissé, si fortement des récits de mon enfance, les contes que me racontait ma grand-mère et des livres que j’ai lus… Tout mon être, toute ma sensibilit­é sont structurés par des récits, des mythologie­s, des histoires, des contes, des fables. Je ne peux plus penser sans cela. Une fois, chez un ami à New York, je me suis réveillé en pleine nuit et j’ai eu comme une fringale d’alphabet, comme d’autres ont une fringale de sucreries. Je me suis levé, j’ai cherché, il n’y avait pas un seul livre dans la maison. C’est là que j’ai compris pourquoi je n’arrivais pas à respirer de toute la nuit. On dirait que mon corps se rend compte quand il n’y a pas un livre quelque part, je me sens alors en danger.

Qu’est-ce que vous auriez pu faire si vous n’étiez pas écrivain ? À la question « Pourquoi écrivezvou­s ? », Beckett avait répondu : « Bon qu’à ça ». C’est aussi mon cas. Je me souviens d’un électricie­n qui me reprochait de n’avoir pas fait moi-même la réparation pour laquelle je l’avais fait venir, chez moi à Montréal. Je lui ai répondu : « Mais vous, vous ne pourriez pas écrire un roman ! Alors veuillez rétablir l’électricit­é qui me permettra d’écrire des romans. »

Dans les années 1990 , quand vous viviez en Floride, vous avez été très prolifique, dix romans en douze ans. Pourquoi une telle frénésie d’écriture ? J’ai toujours aimé lire et tous mes livres racontent beaucoup les livres, la littératur­e et les écrivains. Écrire est une autre façon de vivre pour moi. Je ne pouvais plus vivre à Montréal à ce moment-là. Dans cette ville que j’adore, j’étais devenu un peu connu et cette soudaine célébrité allait m’empêcher de travailler au rythme que je voulais. Il fallait un endroit que je ne connaissai­s pas, une ville comme Miami que je n’aimais pas beaucoup. Là j’étais libre de tout mon temps. Et j’écrivais. Pourquoi avoir repris six de vos romans à partir de 2012 , pour les revisiter, les amender ? J’avais écrit ces livres de façon très rapide parce que j’avais peur de mourir avant de les avoir écrits. J’avais compris que l’espérance de vie haïtienne était très brève. Voyant que je ne mourrais pas, je les ai réécrits.

Vous distinguez trois sortes de livres, ceux qui méritent d’être lus à haute voix, ceux qui doivent être murmurés et ceux dont on doit s’imprégner sans bouger les lèvres. Comment vos livres doivent-ils être lus ? C’est au lecteur de décider. Bien sûr, ma littératur­e est très simple et je préconise un style faussement parlé. On ne parle jamais comme on écrit. La simplicité dans l’écriture, cette impression que donne un texte de pouvoir être lu à haute voix, demande beaucoup de travail.

« Il faut deux choses pour écrire, une urgence et un secret », ditesvous. Quels sont les vôtres ? L’urgence, c’était de dire ce que j’avais à dire avant de mourir. Quant au secret, je ne pourrais pas vous le dire. Il est toujours là. Même si le meilleur secret, c’est celui qu’on a oublié.

Pour devenir écrivain, vous dites que le caractère est plus important que le talent. C’est-à-dire ? C’est très simple. Je crois que beaucoup de gens ont du talent, mais très peu ont du caractère. Très peu de personnes sont prêtes à plonger dans les eaux profondes. Souvent, des écrivains veulent savoir si leur livre est bon et insistent pour vous faire lire leur manuscrit. C’est un manque de caractère, je crois que personne ne peut vous dire si votre livre est bon. Il faut lancer un livre comme ça, dans la foule, dans l’espace des lecteurs et puis on verra bien qui vous aimera. On ne peut pas douter de cela avant. Il faut avoir le caractère de dire : « Voilà, mon livre a des défauts, on me le dira vertement. Il a aussi des qualités. Ça touchera les gens que ça touchera. Mais je dois prendre le risque de me présenter nu face au lecteur. C’est cela, avoir le caractère, ne pas avoir peur de l’opinion des gens. »

Fête du livre d’Hyères, aujourd’hui au forum du casino de 10 h à 19 h (inaugurati­on à 14 h 15), dimanche de 10 h à 18 h. Entrée libre.

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(Photo J.-F. Paga/Grasset) Dany Laferrière est le fer de lance de la e fête du livre d’Hyères, tout le week-end au forum du casino.

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