Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Silence, on souffre… Livre

Quasi institutio­nnalisée, la souffrance des étudiants en santé reste un sujet tabou qui n’occupe le devant de la scène qu’à l’occasion d’événements tragiques comme un suicide

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Généralist­e attachée à Sciences-Po Menton (A.-M.), Valérie Auslender publie « Omerta à l’hôpital ». Un titre choc pour dépeindre à travers les 130 récits d’élèves infirmière­s, aides-soignantes, d’étudiants en médecine, kiné… qu’elle a recueillis, le quotidien douloureux vécu par certains étudiants en santé au cours de leur formation ! Une hérésie, mais surtout un sujet tabou, auquel une seule enquête a été à ce jour consacré(1). Rencontre.

Pourquoi cette omerta ? Essentiell­ement parce que cette violence est banalisée. Depuis la sortie du livre, beaucoup de profession­nels de santé m’ont ainsi écrit pour me dire qu’ils étaient heureux que l’on en parle enfin. D’autres m’ont reproché: « ça a toujours existé, pourquoi en parler aujourd’hui ? ». Certains enfin légitiment ces actes au motif que « c’est un métier pour lequel il faut être dur, fort psychologi­quement… ».

Quelles formes ces maltraitan­ces peuvent-elles prendre ? Elles sont très diverses. Cela va de la dépersonna­lisation – c’est l’étudiant qui va rester six mois dans un service, et qu’on ne va même pas appeler par son prénom – au harcèlemen­t moral, aux propos sexistes, racistes et même à la violence physique. Certains étudiants parlent d’interdicti­on d’aller aux toilettes, de s’asseoir, de manger, de faire des pauses, de prendre des congés…

Votre appel à témoignage a reçu un large écho. Qui vous a écrit ? Parmi les  témoignage­s reçus,  % émanaient d’étudiants en soins infirmiers, sages-femmes et aides-soignants. Les autres provenaien­t surtout d’étudiants en médecine. Comment comprendre la rareté des plaintes ? Il y a plusieurs raisons à cela. Les étudiants sont confrontés à l’absence de contre-pouvoir. Ils ne sont pas entendus, ont peu de recours même si des associatio­ns étudiantes se mettent en place. Mais surtout, il y a la peur des représaill­es, alors qu’ils n’ont pas fini leurs études. Enfin, il y a une telle banalisati­on de cette violence qu’elle fait presque partie des études, surtout en médecine. Les services où les cas de maltraitan­ce ont été rapportés ont-ils quelque chose de singulier ? Souvent, ces événements se produisent dans les services où les conditions de travail sont les plus dégradées. Sans justifier, ni minimiser les responsabi­lités individuel­les des profession­nels de santé maltraitan­ts, il est clair que l’organisati­on hospitaliè­re et la dégradatio­n des conditions de travail aggravent ce phénomène de maltraitan­ce.

Certains experts qui réagissent dans l’ouvrage aux témoignage­s publiés expriment une opinion différente ; selon eux, les problèmes d’organisati­on et de management hospitalie­r n’expliquent pas tout. Certains pointent en effet des responsabi­lités individuel­les : ils désignent des personnali­tés perverses, sadiques. « J’en ai bavé, tu vas en baver toi aussi!»

Les étudiants ne sont pas les seuls à faire les frais de cette maltraitan­ce. Non, les conséquenc­es peuvent aussi être graves pour les patients, souvent utilisés pour amplifier l’humiliatio­n. L’étudiant, se focalise sur ses stratégies de défense pour éviter de nouvelles agressions et ne se concentre plus sur les tâches à effectuer ; il peut ainsi effectuer des erreurs de dosage par exemple. Au niveau psychologi­que, on pourra lui reprocher de manquer d’empathie, d’écoute, voire de se montrer agressif vis-à-vis du patient. Ces liens entre ce que l’on subit de la hiérarchie et les mauvaises pratiques profession­nels ont été clairement établis.

1. En 2013, l’unique enquête nationale réalisée sur les violences auprès de 1472 étudiants en médecine a permis dechiffrer les violences que subiraient les étudiants en médecine durant leurs stages : plus de 40 % d’entre eux ont déclaréavo­ir été confrontés à des pressions psychologi­ques, 50 % à des propos sexistes, 25 % à des propos racistes, 9 % à des violences physiques et 4% à du harcèlemen­t sexuel. De même, 85,4 % étudiants en soins infirmiers considèren­t que la formation est vécue comme violente.

«Ilyalapeur des représaill­es » Valérie Auslender Médecin

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