Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le gros open ditch
Et de trois ! Comme dans ces jeux télévisés où la difficulté des épreuves va croissant, le président Macron a franchi sans encombre les trois premiers obstacles de son quinquennat. Une prise de fonction impeccable. Un choix de Premier ministre qui a crédibilisé son ambition de transcender le clivage gauche-droite, et destabilisé la droite républicaine. En témoigne le succès de l’appel de la « main tendue », lancé par vingt-deux personnalités de LR et du centre et signé, depuis, par quelque cent soixante-quinze élus. Un gouvernement d’une configuration inédite, vitrine de la recomposition politique en marche. Pour le résumer en peu de mots : resserré, renouvelé, paritaire, pluraliste. Ajoutons : pro-européen et Germany friendly (trois ministres germanophones et germanophiles à des postes-clés, la chose n’est pas courante), ce qui ne manque pas d’audace quand on se souvient des résultats du avril. Et non moins important : d’un pragmatisme assumé. Un des traits les plus frappants, en particulier chez les nouveaux venus (on pense par exemple au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer), est, en effet, leur volonté d’aborder les problèmes non en termes de gauche ou de droite, mais ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ce n’est pas pour déplaire à une opinion lassée des postures partisanes et des oeillères idéologiques. Résultat : selon un premier sondage, six Français sur dix sont satisfaits de la composition de ce gouvernement. Restent de gros points d’interrogation. On en voit au moins trois. . L’apport massif de personnalités venues de la société civile est de nature à réoxygéner un système politique qui en a bien besoin. Mention spéciale à Françoise Nyssen, dont la nomination fait l’unanimité dans le monde culturel. Mais les précédents n’ont pas toujours été concluants, tant s’en faut. Pour un Malraux, une Simone Veil, combien de scientifiques de renom, de brillants intellectuels, de patrons aguerris n’ont jamais trouvé le mode d’emploi et se sont épuisés dans de vains combats contre la machine politico-administrative. . Le poids de la droite, qui tient Matignon et Bercy, peut-il, comme on en rêve rue de Solférino, ramener dans les filets du PS, aux législatives, une partie des électeurs de gauche qui ont permis à Macron de virer en tête le avril ? Symétriquement, combien d’électeurs de la droite républicaine vont-ils se mobiliser pour châtier les « traitres » – le trio Philippe-Le Maire-Darmanin – et celui qu’ils détestent entre tous, François Bayrou ? . Toute médaille a son revers. Qui dit renouvellement dit visages nouveaux, forcément peu connus du grand public. L’équipe gouvernementale ne compte guère que trois ou quatre poids lourds politiques – Collomb, Bayrou, Le Drian, Le Maire – plus, bien sûr, Nicolas Hulot. Et la remarque vaut a fortiori pour les candidats REM, dont beaucoup souffrent d’un gros déficit de notoriété. Dans la campagne éclair qui s’ouvre, ce manque de locomotives peut se faire sentir. Sauf, bien sûr, si l’effet Macron fait lever une vague du type ou , qui gommerait l’équation personnelle des candidats. Cela reste la grande inconnue. Emmanuel Macron, ce novice dont on guettait les faux pas, a réalisé jusqu’ici un parcours quasi sans faute. Peut-il rafler la mise le juin et transformer sa majorité présidentielle en majorité parlementaire ? Ce président à l’assise politique fragile, élu par défaut autant que par adhésion, et qu’on dit privé d’état de grâce (sa cote de confiance, %, est la plus basse qu’ait connue un président nouvellement élu), réussira-t-il pourtant ce qui avait été déclaré impossible : faire triompher une coalition des modérés dans un pays clivé, fracturé et tenté par les extrêmes ? Il a avalé les premières haies. Devant lui, diraient les turfistes, se dresse le gros open ditch.
« Macron réussira-t-il ce qui avait été déclaré impossible : faire triompher une coalition des modérés dans un pays clivé, fracturé et tenté par les extrêmes ? »