Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
«Si on les laisse couler on perd notre âme»
Près de dix mille migrants ont été sauvés en mer en à peine quatre jours, la semaine dernière. Francis Vallat, président de SOS Méditerranée, évoque les nécessaires opérations menées par les ONG
Il a été l’un des tout premiers membres du comité de soutien de l’association SOS Méditerranée à sa création en février 2016. Quelques mois plus tard, Francis Vallat en devient le président. Fin connaisseur du monde maritime, il porte un regard particulièrement acéré sur la problématique des migrants qui traversent et, pour nombre d’entre eux, meurent dans les eaux de la Grande bleue. Ancien armateur, il préside en effet le cluster (1) maritime européen et a fondé le cluster maritime français. Il est aussi président d’honneur de l’Institut français de la mer et à la tête de l’association Expédition 7e continent, qui lutte contre la pollution des océans. Mercredi soir, Francis Vallat était à Toulon pour une conférence à la Maison du numérique. Il est revenu sur les opérations de sauvetage menées par L’Aquarius ,lenavire affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontière pour venir en aide aux migrants qui prennent la mer. Juste avant, il a répondu à nos questions.
Vous avez de nombreuses casquettes. Comment interagissent-elles les unes avec les autres ? Dans le maritime, tout se touche. Il y a des liens évidents : les clusters, ce sont des histoires de solidarité et de développement durable. Ainsi, les liens avec SOS Méditerranée, d’une part, et Expédition
continent, d’autre part, sont évidents. Par exemple, au sein du cluster, les armateurs qui voyaient le drame se jouer en mer sous leurs yeux, ont pesé dans la création de SOS Méditerranée. Mais je tiens à préciser qu’en tant que président d’honneur du cluster maritime français, je n’aide que ponctuellement, notamment sur le dossier des grands fonds marins. Et que, par ailleurs, SOS Méditerranée exige tellement d’efforts que je ne vais probablement plus pouvoir rester longtemps président d’Expédition
continent.
L’une de ces casquettes vous tient-elle plus particulièrement à coeur ? Le maritime est très attachant de manière générale : c’est beaucoup de travail pour beaucoup de satisfaction. Ayant fondé les deux clusters, j’y suis attaché : ce qu’on a réussi à faire est important. Un coin de mon coeur reste aussi près de l’Institut français de la mer. Mais le plus présent tout le temps, c’est cette histoire de migrants en Méditerranée.
Justement, vous avez été reçu par le préfet maritime de la Méditerranée. Qu’est-il sorti de cette rencontre ? Nous avons échangé de façon très franche, très ouverte et en toute transparence autour de nombreux autres sujets. Bien sûr, nous avons évoqué la question des migrants. Mais le préfet maritime a un devoir de réserve... Moi, ce qui m’interpelle c’est de savoir où est la stratégie de la France, de l’Europe quant à ce flux de migrants qui traversent la Méditerranée, étant entendu que les solutions ne sont pas de notre compétence. Nous, on a un choix binaire : ou on les sauve, ou on les laisse couler. Il faut les sauver, sinon on se perd nousmêmes. On peut discuter de tout, sauf de ça.
L’action d’organisations non gouvernementales (ONG) telle que SOS Méditerranée fait polémique, notamment avec Carmelo Zuccaro, procureur de Catane en Sicile, qui enquête sur une possible collusion entre les réseaux de trafic d’êtres humains et les navires affrétés par les ONG. Qu’en dites-vous ? Je réponds pour SOS Méditerranée et je dis qu’on respecte toutes les réglementations. On est à % en phase avec les autorités italiennes et nos financements sont totalement transparents. Quant à Médecins sans frontière, on observe qu’ils sont exemplaires. Ce procureur italien doit avoir des opinions bien tranchées… Et il n’a pas le début d’une preuve. Toutefois, ce qui est inquiétant, c’est si ce type de comportement s’étend et si le militantisme politique se substitue à la vérité des faits.
On vous reproche aussi de créer un « appel d’air », de créer un facteur d’attraction pour les migrants… Ce qu’on constate, c’est que la fin de l’opération Mare Nostrum n’a pas arrêté le flux. Toutes ces questions ne se poseraient pas s’il y avait une stratégie mise en place par les pays et l’Europe ! On nous dit que c’est long et compliqué : raison de plus pour s’y mettre maintenant. Or, aujourd’hui, où sont les groupes de travail sur ces questions ? Alors voilà : les réfugiés subissent les effets de la guerre et nous, on subit l’absence de stratégie. S’il n’y a pas d’acteurs européens, quels qu’ils soient, qui se préoccupent de ces milliers de gens qui coulent, on perd notre âme.
Donc les actions de SOS Méditerranée sont indispensables ? Je vais vous répondre en chiffres. Depuis le début de nos opérations, nous avons sauvé seize mille personnes. On sait aussi que, l’an passé, près de cinq mille personnes ont perdu la vie et que d’ici à la fin de l’été, on devrait franchir la barre des cinquante mille morts depuis le début de cette crise. Et ça ne devrait pas s’arranger puisque sur l’axe Libye-Italie, on est à plus % de passage, par rapport à l’an passé. Vous êtes venu à Toulon pour une conférence intitulée «SOS Méditerranée, pourquoi et comment ? ». Quel est votre message ? SOS Méditerranée a été créé par des gens qui ont décidé de dire non à ce qu’il se passe. Le but est donc de sensibiliser à ce problème : on n’est pas des apôtres, mais on fait ce qui nous semble être le minimum. C’est notre devoir le plus primaire. Il s’agit aussi de répondre aux polémiques. Et puis surtout, on a une obsession : chaque jour de mer de L’Aquarius, c’est onze milles euros. Soit quatre millions d’euros de budget annuel. Si aujourd'hui nous avons une dizaine de milliers de donateurs, dont soixante ou quatre-vingts mécènes, on en cherche toujours plus. On prend tout !
Le maritime est très attachant” Nous avons un choix binaire” On subit l’absence de stratégie”
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