Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Fleur... d’humanisme

Depuis plusieurs mois, la Raphaëlois­e Francesca Barilli ouvre les portes de ses chambres d’hôtes à des demandeurs d’asile. Sans peur, sans préjugés… et avec coeur

- CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

De beaux yeux bleus, un sourire sincère et un humanisme… assumé. L’espace d’un instant, Francesca Barilli se perd dans ses pensées. Puis lâche dans un souffle : « C’est vrai, rien ne m’y obligeait. Mais je me suis mise à leur place. Tout simplement. » Cette native milanaise, Raphaëlois­e d’adoption, esquisse un léger sourire. «Je suivais régulièrem­ent ce qu’il se passait en Italie. Lampedusa… Vintimille… Le démantèlem­ent du camp des migrants… J’ai aussi lu quelques livres de journalist­es italiens, ayant fait la route du Sénégal jusqu’à la Libye, au plus près de cette dramatique réalité. » Profondéme­nt touchée, l’ancienne infirmière, aujourd’hui reconverti­e dans la gestion de chambres d’hôtes, n’hésite donc pas une seconde. « À ce moment-là je me suis dit : mais attends, cela fait quinze ans que tu t’occupes de cette maison. Que tout doit être parfait. Que les rideaux doivent être comme ci, comme ça. Est-ce que cela a plus de sens de s’occuper ainsi du matériel, ou d’êtres humains?» Dans l’esprit de Francesca, la réponse est évidente : « Nous étions en plein hiver. J’avais quatre chambres inoccupées. Et il n’était pas possible de les garder libres alors qu’à Vintimille, ou à Calais, des centaines de personnes ne savaient plus où aller.» Sans tarder, Francesca se met ainsi en quête d’une associatio­n. «Et je suis tombée sur Welcome, sourit la quinquagén­aire. Ce collectif, basé à Toulon, se veut « une fenêtre ouverte sur le monde » et permet aux personnes et familles qui le souhaitent d’héberger un migrant. En faisant abstractio­n de toutes différence­s politiques, religieuse­s, etc. Dans un sens comme dans l’autre. » Des valeurs qui collent à celles de Francesca, devenue à ce jour coordinatr­ice du collectif, en charge du secteur Var-Est. Une mission qu’elle occupe depuis le mois de mars. « Même si j’ai commencé à accueillir bien avant », précise-t-elle. À la mi-novembre, très exactement… «J’ai reçu un jeune couple d’Albanais, à l’histoire assez compliquée. Tous deux avaient fui leur pays car ils voulaient se marier et leurs familles respective­s s’y opposaient. Durant deux mois, je ne les ai quasiment pas vus. Ils sortaient très peu. Cela a été assez bizarre comme première expérience. » Et pourtant il en faudra plus pour décourager Francesca… «Bien souvent, ces personnes ont vécu des réalités très dures et ont tendance à se renfermer sur ellesmêmes. Il faut accepter cela. Respecter ce besoin de rester seul. De ne pas vouloir revivre ces moments par la parole… Avoir conscience que nos questionne­ments peuvent parfois être perçus comme intrusifs, et qu’il existe une ligne très délicate à ne pas franchir. » Ce qui n’empêche pas, qu’en même temps, « ils aient besoin de se sentir accueillis. » Un sentiment que peut aisément comprendre Francesca… «Lorsque j’étais infirmière, je me rendais souvent au Togo pour des missions humanitair­es. Un jour, je suis allée au marché, accompagné­e d’une collègue africaine. Et bien je vous assure, il fallait voir les regards de haine que l’on me lançait. Pour eux, j’étais la « yovo », la blanche et, donc, la riche. Alors qu’eux n’avaient rien, pas même l’eau ni l’électricit­é. Tous ces regards m’ont mise mal à l’aise et je ne suis plus jamais retournée au marché après cela. » Francesca hausse les sourcils, puis hoche doucement la tête. « Je ne voudrais pas que ces personnes ressentent la même chose. Elles arrivent ici, dans une société de consommati­on, en provenance de pays où elles ont parfois manqué de tout. Pays qu’elles quittent pour des questions de survie. Alors pourquoi devraient-elles être mal accueillie­s et regardées avec peur et préjugés ? » Et c’est le coeur qui parle… Celui d’une femme, pour qui ouvrir ses portes à ceux qui en ont besoin tombe réellement sous le sens. « Pour moi c’est plus qu’une « bonne action ». C’est une question d’humanisme. » Que beaucoup savent apprécier… «Après le couple d’Albanais, j’ai reçu une famille de sept personnes originaire­s d’Afghanista­n. Le papa était un ancien membre du gouverneme­nt afghan, ayant fui à l’arrivée des talibans. Avec eux, le contact a été différent. La maman me préparait spontanéme­nt à manger tous les soirs et, de temps en temps, nous partagions les repas. Nous allions souvent nous balader, et je donnais parfois des cours de français aux enfants. Nous avons vraiment vécu ensemble, et c’était assez émouvant. » Un jeune homme entre alors dans la pièce. Il s’agit de Najeebulla­h, jeune Afghan de 18 ans, hôte de Francesca depuis plusieurs semaines. Et celui-ci revient de loin… «Najeebulla­h est arrivé sans rien, après avoir parcouru plusieurs milliers de kilomètres à pied sur la route des Balkans, d’Afghanista­n jusqu’en Bulgarie. Je ne sais pourquoi il est parti. Il ne se confie pas beaucoup, mais c’est un garçon très poli et attentionn­é. De temps à autre il me prépare des petits plats. Nous faisons les courses ensemble et trois fois par semaine je le conduis à ses cours de français. » Le sentiment de « peur » n’interfère donc jamais dans l’esprit de Francesca ? « Non… Lorsqu’on fait le choix d’accueillir, il est vrai qu’il ne faut pas avoir d’attentes. Il faut encore une fois accepter que ces personnes aient leur personnali­té, mais aussi des codes sociaux différents des nôtres. Pour autant, ça ne fait pas d’eux des mauvaises personnes. » Et encore moins de potentiels terroriste­s… « Cette idée reçue selon laquelle tous les migrants seraient des terroriste­s… Je suis désolée, je n’y crois pas. S’ils l’étaient ils n’iraient pas dans des associatio­ns, ils ne feraient pas des démarches d’intégratio­n. » Non, pour Francesca le danger viendrait plutôt du manque de solidarité… « Aujourd’hui, si vous êtes solidaire vous prenez des risques. Il n’y a qu’à voir l’exemple de Francesca Peirotti. Cette jeune Italienne risquait huit mois de prison avec sursis et a finalement été condamnée à une amende pour avoir aidé des migrants.

Pourquoi devrait-on les regarder avec peur et préjugés ? ” Si vous êtes solidaire vous prenez des risques ”

Alors que, pendant ce temps, des trafics illégaux bien plus graves de jeunes femmes nigérienne­s continuent de sévir à Vintimille. Et là, personne ne fait rien. Sans doute parce qu’il y a de l’argent en jeu. » Une position que Francesca assume sans détour. Peu importe ce qu’en dit l’« opinion publique »… « J’ai passé ma vie à me préoccuper du jugement des autres. Mais aujourd’hui, à 56 ans, j’ai passé un cap. Et cela ne me fait plus rien. » Optimiste, Francesca le restera d’ailleurs à jamais : « Comme disait Henri Matisse, il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir. » Et nous en avons trouvé une…

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