Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Les libérateurs
L’historien varois Jean-Marie Guillon revient sur l’importance de l’arrivée des Alliés sur les côtes varoises en août , deux mois après le « D-Day » normand.
Le 15 août 1944 au matin, un peu plus de deux mois après le débarquement de Normandie, les troupes alliées, avec cette fois une forte présence de l’armée française, s’apprêtent à déferler sur les côtes varoises. Un événement quelque peu occulté par le D-Day du 6 juin précédent. Mais depuis 2014, les choses sont en train d’évoluer. Le film de Christian Philibert, Provence, août 1944, l’autre débarquement, n’y est pas étranger. L’historien Jean-Marie Guillon, qui se bat pour redonner sa juste valeur à « notre » débarquement, salue également la décision de François Hollande de rénover le mémorial du Faron à Toulon, « mémorial trop longtemps laissé dans un état de décrépitude indigne de l’événement et des hommes et des femmes qui en avaient été les acteurs, et dont on peut être fier désormais ». Entretien.
Pourquoi avoir décidé de débarquer en Provence, alors que les troupes alliées étaient déjà à pied d’oeuvre dans l’Italie voisine ? Le débarquement en Provence n’est pas dissociable du débarquement de Normandie. Lorsqu’en , à l’issue de différentes conférences entre les Alliés, la décision de débarquer en France a été prise, il a toujours été question de débarquer et en Normandie et en Méditerranée. J’insiste : les deux débarquements ne sont pas dissociables. Et je regrette d’ailleurs que le débarquement en Normandie éclipse complètement le débarquement de Provence. Entendons-nous bien : le débarquement en Normandie est le premier. C’est le plus important. Il n’y a pas de débat sur ce point. Mais il est indispensable de rappeler que le débarquement de Provence a été d’emblée considéré comme complémentaire de celui de Normandie. J’irai même plus loin : ces deux débarquements devaient avoir lieu simultanément. À ce sujet, avisée par des missions parachutées depuis Alger, la résistance de Provence, et plus largement du Sud-Est, y compris le Vercors, s’est très largement mobilisée dès le juin . Finalement, pour des raisons logistiques, de disponibilité du matériel, le débarquement en Méditerranée a dû être assez largement retardé.
Les deux débarquements en France étaient complémentaires. Mais, d’un point de vue géostratégique, étaient-ils aussi importants l’un que l’autre ? J’affirme que le débarquement de Provence a la même importance que celui de Normandie. Car, si le débarquement de Normandie est une réussite incontestable, la bataille qui suit s’avère extrêmement meurtrière. Pour les Allemands certes, mais aussi pour les Alliés et les civils français. Pendant plus d’un mois, les troupes alliées stagnent. Elles ne percent les lignes allemandes qu’à la fin du mois de juillet. Le débarquement de Provence, qui intervient le août, va changer la donne. Il accélère de façon formidable la libération de la France. Et au septembre, les deux tiers du pays sont libérés.
Une autre raison qui donne au débarquement de Provence une dimension considérable ? Le débarquement de Normandie et la bataille éponyme sont une affaire essentiellement angloaméricaine. Les troupes françaises y sont absentes. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle le général De Gaulle ne participait pas aux commémorations du juin en Normandie. Si le débarquement de Provence est également une affaire américaine, les grandes batailles qui suivent sont, à l’inverse, essentiellement françaises avec l’engagement de l’armée de De Lattre et de la Résistance intérieure. Par ces opérations, les Français participent concrètement à leur propre libération. C’est pourquoi j’ai été très heureux que le président de la République reprenne la proposition que j’avais émise en de faire évoluer le nom du mémorial en mémorial du débarquement et de la libération de la Provence. Mais alors comment expliquer que la Normandie passe sous silence le débarquement de Provence ? Le débarquement en Normandie reste le premier. Il est évidemment décisif. Même si les batailles de Toulon et Marseille ont été très dures, celle de Normandie a été incomparablement plus meurtrière. Il est donc assez logique que le débarquement en Normandie soit mis davantage en avant. Mais je regrette qu’on en vienne à oublier ce qui est complémentaire. J’ai toujours été irrité quand je vais en Normandie de ne jamais voir une seule allusion dans les musées à un débarquement en Méditerranée. Même le traitement médiatique des deux débarquements est extrêmement inégal. On l’a vu en , pour le e anniversaire.
Revenons au rôle de l’armée française en Provence. Grâce à ses soldats, la France a-t-elle retrouvé sa place à la table des vainqueurs ? La participation massive de l’armée française aux batailles de Toulon et Marseille est même un élément essentiel. D’un point de vue politique, c’est un atout tout à fait considérable pour négocier la future place de la France dans le camp des vainqueurs. Sans cette participation, jamais la France, qui n’était pas en odeur de sainteté auprès des Américains, ne se serait retrouvée parmi les signataires de la capitulation allemande. Les troupes françaises ont fait indiscutablement la preuve de leur utilité.
Comment expliquer le choix du Var ? À première vue, c’est vrai que le rivage languedocien semblait plus favorable. Mais si cette option avait été retenue, il aurait été beaucoup plus difficile d’accéder à la vallée du Rhône. Et puis les troupes alliées se seraient retrouvées à une distance plus importante de Marseille. Or, le contrôle des ports en eau profonde de Marseille était un point absolument primordial pour les Américains, car c’étaient les seuls capables de recevoir rapidement la logistique américaine. Ensuite, la zone précise de débarquement a été choisie pour être hors champ des batteries allemandes installées à Toulon.
Le débarquement de Provence a la même importance que celui de Normandie ”
On dit que Churchill était opposé à ce débarquement de Provence. Pour quelles raisons ? Avant tout, pour des considérations stratégiques et militaires. Pour Churchill, les Balkans et l’Europe centrale avaient toujours été un objectif stratégique important. Les Britanniques ont d’ailleurs beaucoup plus aidé, par des parachutages d’armes, la résistance yougoslave communiste que la résistance française. Churchill voulait arriver au coeur de l’Europe plus vite que les Russes. Et puis à partir du moment où le débarquement en Méditerranée était retardé par rapport à celui de Normandie, il estimait qu’il perdait de son importance. C’est vraiment l’insistance d’Eisenhower qui fait que le débarquement a été maintenu.