Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Fipronil : « des moyens de contrôle insuffisan­ts »

La crise des oeufs contaminés montre les limites de l’informatio­n aux consommate­urs. Autorités et industriel­s ont-ils été transparen­ts? Entretien avec Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir

- PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA BONNIN

Depuis le début du mois, la France se débat avec la crise du fipronil, du nom d’un insecticid­e interdit, dont des traces ont été retrouvées dans des oeufs et des préparatio­ns alimentair­es. Le fipronil susceptibl­e de se retrouver dans nos assiettes, et dans nos estomacs, a été utilisé par des sociétés de désinfecti­on intervenan­t dans des élevages de poules pondeuses. Pour éradiquer le pou rouge... en toute illégalité. Les investigat­ions des autorités sanitaires sont loin d’être achevées et il est probable que la liste des produits concernés continue de s’allonger. Que révèle la crise sanitaire du fipronil? Entretien avec Alain Bazot, président de l’Union fédérale des consommate­urs (UFC)-Que Choisir.

Comment analysez-vous la gestion de crise du fipronil par les autorités françaises ? On voit d’abord que l’Anses a rendu un avis plutôt rassurant, un avis qui se voulait rassurant. C’est vrai qu’il ne faut pas non plus créer une psychose. Visiblemen­t, le ministère s’est dit qu’il n’y a pas un risque grave de santé publique. Donc, il va prendre le temps d’identifier les lots de produits concernés, de les analyser, avant de communique­r. Nous, ce qu’on leur reproche, c’est de ne pas avoir informé en amont les associatio­ns de consommate­urs. Le manque de transparen­ce amène la suspicion.

Pensez-vous qu’il y a eu un retard à l’allumage? Le ministère ne sait pas tout, car tout n’a pas été mis au jour. Je ne suis pas en mesure de dire si les pouvoirs publics français ont traîné, mais ils ont manqué de transparen­ce à partir du moment où ils ont été au courant. Ils ont communiqué au compte-gouttes. Au fur et à mesure, cela devenait plus important. On a été les premiers à réclamer très rapidement une identifica­tion de tous les produits concernés. Cela montre combien il est difficile de remonter les filières dans l’agro-industrie. On a le sentiment qu’on se heurte à un manque de coopératio­n des industriel­s. Je ne suis pas persuadé qu’ils aient joué la transparen­ce sur les filières d’approvisio­nnement. Ce n’est pas une tradition qu’ils jouent la transparen­ce. On le voit lorsqu’on demande l’étiquetage des origines. Quand on demande des informatio­ns claires sur la qualité nutritionn­elle des produits, ou encore sur la traçabilit­é.

Cela signifie que la traçabilit­é n’est pas entrée dans les usages ? Au moment de la vache folle, on nous disait même qu’il était impossible de tracer la viande. On voit ce qu’il en est aujourd’hui. Il y a une tradition d’opacité sur l’offre alimentair­e, l’offre industriel­le. Les approvisio­nnements se sont diversifié­s et complexifi­és.

Vu que les produits alimentair­es passent les frontières, cela se joue donc au niveau européen? C’est effectivem­ent l’échelle européenne qui est pertinente. Or, il n’y a pas de police de l’alimentati­on efficace et la coopératio­n est défaillant­e entre les États membres. C’est chacun pour soi, chacun joue sa corde nationale. Les autorités belges ont clairement tardé. Et à l’échelon des États membres, il y a une insuffisan­ce notoire des moyens de contrôle. Les règles existantes sont-elles suffisante­s ? On n’est pas face à un déficit de règles, car le fipronil est bel et bien interdit. En revanche, il faut arrêter de diminuer les moyens des autorités de surveillan­ce. En France, la DGCCRF ou la direction générale de l’alimentati­on n’ont pas des moyens suffisants, on le sait. Il faut arrêter de sousdoter les services de contrôle. On ne peut pas renforcer la liberté des entreprise­s et diminuer les capacités de contrôle. Le match est-il plus inégal ? Il y a deux poids, deux mesures. Une Europe libérale qui autorise toute transactio­n, sans limite. La liberté y est le maître mot. En parallèle, on n’a pas établi les moyens de contrôle efficaces. Cela crée un déséquilib­re qui ne peut qu’amener à plus de fraudes et plus de crise. Quel conseil donnez-vous aux consommate­urs? Le discours actuel n’est pas très cohérent. On nous explique d’un côté, que ce n’est pas bien grave, tout en retirant des produits de la vente. Je ne sais pas bien si les gens arrivent à comprendre. Si le fipronil est interdit, on ne doit pas en retrouver du tout dans l’alimentati­on, c’est un principe. À l’UFC-Que Choisir, on conseille de ne pas consommer les produits identifiés.

Les produits sont retirés de la vente, mais pas « rappelés ». Quelle est la différence? On a organisé un retrait des produits, pas un rappel, ce qui permettrai­t de pouvoir les ramener. Notre conseil est d’aller en magasin en demander le remboursem­ent ! Le consommate­ur n’a pas à faire les frais de produits achetés, qu’il a dans son placard, et qui contiennen­t une substance interdite.

Qu’attendez-vous des autorités ? À court terme, que les investigat­ions continuent et que la population en soit informée, sans délai et sans restrictio­n. Les autorités ont concilié principe de précaution, principe de réalité et préservati­on d’un secteur économique – c’est un savant dosage. L’alimentati­on est une question ultra-sensible, il faut en tenir compte. Il peut y avoir des relais, pour dire les choses, sans provoquer la panique. Il est nécessaire que les associatio­ns soient informées. La transparen­ce franche, c’est un droit. 1. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on. 2. Direction générale de la concurrenc­e, de la consommati­on et de la répression des fraudes.

‘‘ Dans l’Europe libérale, il y a deux poids, deux mesures” ‘‘ À l’UFC-Que Choisir, on conseille de ne pas les consommer”

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