Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Affaire Rybolovlev-Bouvier: des SMS bien embarrassants
L’avocate de Dmitri Rybolovlev aurait tissé des liens étroits avec le chef de la police judiciaire de Monaco dans le cadre d’une enquête pour escroquerie. C’est ce que révèle l’expertise de son portable
Les avocats d’Yves Bouvier y voient du pain bénit. Ceux de Dmitri Rybolovlev, une tentative de manipulation (lire ci-dessous). Une chose est sûre, les milliers de SMS retrouvés dans le téléphone portable de Tetiana Bersheda n’ont pas fini de faire parler. En particulier ceux qui ont été échangés avec le chef de la division police judiciaire de Monaco et son adjoint, les commissaires principaux Christophe Haget et Frédéric Fusari, dont le site français Médiapart et le journal économique suisse Bilan ont fait état en début de semaine. Ces textos, échangés dans le cadre de l’affaire des tableaux de maîtres opposant Dmitri Rybolovlev et Yves Bouvier, tendraient à alimenter les soupçons de liens très étroits entre l’avocate du président de l’AS Monaco et ces deux fonctionnaires de la Sûreté publique.
L’affaire dans l’affaire
Piqûre de rappel. Le 9 janvier 2015, deux sociétés de la famille Rybolovlev déposent une plainte contre le marchand d’art suisse Yves Bouvier pour escroquerie et complicité de blanchiment. Elles accusent cet « intermédiaire » d’avoir réalisé des marges exorbitantes sur la quarantaine d’oeuvres acquises par Rybolovlev. Des Picasso, des Modigliani et des Rothko. On parle de quelque 800 millions d’euros sur une dizaine d’années. Le 25 février de la même année, Yves Bouvier et Tania Rappo, une ancienne proche du milliardaire russe, sont interpellés à Monaco. Tous deux sont inculpés – escroquerie et complicité de blanchiment pour lui, blanchiment pour elle – et remis en liberté à l’issue de 72 heures de garde à vue. Un an plus tard, une affaire dans l’affaire éclate. Tetiana Bersheda est mise en examen pour violation de la vie privée, soupçonnée d’avoir réalisé un enregistrement illégal de Tania Rappo lors d’un repas à Monaco, chez Dmitri Rybolovlev, le 23 février 2015. Dans le cadre de cette nouvelle procédure, le juge d’instruction monégasque Edouard Levrault demande une expertise du portable de l’avocate.
« Merci pour ce moment »
L’expert a rendu son rapport le 13 juillet dernier. De nombreux textos embarrassants y figurent. Plus de 8 900 SMS émis ou reçus, qui figuraient encore dans l’appareil ou qui avaient été effacés, échangés avec Tania Rappo, Christophe Haget et Frédéric Fusari. Il apparaît ainsi qu’au cours de l’année 2015, les échanges ont été fréquents et de plus en plus cordiaux entre l’avocate de Rybolovlev et le chef de la police judiciaire monégasque. Le vouvoiement fait place au tutoiement, les « Amitiés » sont réguliers et les « Bises » apparaissent. La connivence se devine derrière plusieurs messages. Bersheda : « Mais sommes hors danger visiblement ;) » ; Bersheda : «Ça me fait plaisir de vous revoir»; Haget : «Merci pour ce moment» ; Haget : « Bravo… !! Période faste! Je suis heureux pour vous et Monaco.»; Haget : « Pour votre information un article de monaco matin risque de sortir demain sur le dossier en cours mis en oeuvre par la défense de Tania. » Ce qui était vrai… Et puis, il y a ce message de Tetiana Bersheda, envoyé le 23 février 2015 à 20 h 59 à Christophe Haget : « Bonsoir, il [Yves Bouvier, NDLR] viendra le 25 le matin. C’est sûr. Il faudrait rester sur le plan A.» Difficile de savoir ce qui se cache derrière ce « plan A », qui suppose l’existence d’un « plan B ». En tout cas, ce message a sans doute joué un rôle dans l’interpellation d’Yves Bouvier, deux jours plus tard, ce fameux 25 février à Monaco.
Recours contre l’expertise
Interrogé sur ce volet de l’affaire, néfaste pour l’image de la Principauté, le gouvernement princier botte en touche : « Le procureur est le seul habilité à s’exprimer sur ce dossier qui fait l’objet d’une procédure en cours. À Monaco, la justice est indépendante : le gouvernement n’a pas eu accès à ce document. » À savoir au rapport d’expertise et au contenu des SMS. Sollicité hier matin, le procureur général de Monaco, Jacques Dorémieux, indique, via un communiqué de presse, que « l’expertise ordonnée en vue de l’exploitation de la téléphonie dont sont extraits les messages cités fait l’objet d’une contestation devant la chambre du conseil de la cour d’appel [qui] devrait se prononcer dans les prochaines semaines sur ce recours ». Cette nouvelle affaire touchant à la probité des fonctionnaires de la Sûreté publique de Monaco tombe bien mal, quelques mois après l’ouverture d’une enquête dans le cadre d’un dossier de trafic de titres de résidence monégasques, impliquant une douzaine de Belges et trois policiers de la Principauté…