Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Des hochets et des hommes
Le progrès prend parfois des détours inattendus. La petite histoire retiendra que le scandale qui a entraîné la chute d’un producteur hollywoodien aux moeurs ignominieuses aeupour double conséquencede libérer la parole de milliers et milliers de femmes qui subissaient en silence et parfois dans la honte toute lagradation des humiliations et des abus sexuels allant des propos salaces jusqu’au viol caractérisé; et aussi (peut-être?) demettre fin aux pratiques qui avaient fini par galvauder la plus éminentedenos distinctions : la Légion d’honneur. Ah, la Légion d’honneur! Objet de toutes les convoitises et de tant de manoeuvres. Sujet de grande fierté pour ceux qui l’arborent; objet de toutes sortesdesoupçons ou de moqueries pour ceux qui ne l’ont pas reçue, oumieux, qui l’ont refusée– cequi est le comble du chic. Fille de la Révolution, car elle entendait substituer aux privilèges de la naissanceune hiérarchie fondée sur la valeur des individus et les services rendus à lapatrie, bref combiner égalité et distinction, la Légion d’ honneur est plus qu’une décoration: c’est la France en petit. La matérialisation, sous la formed’unpetit insigne rouge, discrètement visible, duprincipe méritocratique qui est aucoeur de l’idéologie française. Du moins devrait-il toujours en êtreainsi. Mais les hommes ne sont que deshommes… En déjà, àceux qui critiquaient la création d’une institution aux relents d’ancien régime, Bonaparte répliquait avec un tranquille cynisme : « Jevous défie dememontrer une république, ancienne ou moderne, qui sût se faire sans distinctions. Vous les appelez les hochets, ehbien, c’est avec des hochets que l’on mène leshommes » . Mener les hommes: rien dans ses méthodes de gouvernement n’ indique que notre bonapartiste président Macron y ait renoncé. Au moins est-il décidé à dépoussiérer la vieille dame et lui rendre son lustre, terni par trop de nominations de complaisance et quelques scandale s retentissants( Harvey W einstein, donc, mais aussi Jacques Servier, Patrice de Maistre, John Galliano, Lance Armstrong, pour ne citerque les plus récents et ne pas remonter jusqu’à Bachar el-Assad ou... Mussolini). Il est vrai que la République avait fini par tirer un peu trop sur le cordon. médailles distribuées sous Giscard (recordmandugenre), sousPompidou, sous Sarkozy. Cela fait beaucoup... Àcertaines honorables corporations, ambassadeurs, académiciens, anciens ministres, militaires de haut rang oumédaillés olympiques, leprécieux ruban rouge est même attribué de façon quasi automatique. Commeune sorte de primedecarrière. Pour ne rien dire de ceux dont le méritese limiteàsavoir naviguerdans les cercles d’ influence, ou àavoiroeuv ré àl’ élection d’un important de la République. « LaLégion d’honneur ? Àpartir d’un certainâge, il faut disposer d’un sacrépiston pour ne pas l’avoir » , raillait FrédéricDard. Eh bien, si l’onencroit Christophe Castaner, ces pratiques sont révolues. Déjà, la promotion du juillet dernier ne comportait que noms (contre en , pour le juillet de Hollande). Fini les Légions d’honneur « àl’usure » ou « par copinage » . Leprésident entend retrouver l’esprit fondateur. L’esprit et la lettre : « LaLégion d’honneur est la récompense des mérites éminents acquis au service de lanation » . Quantàsavoir ceque sont des mérites « éminents » , notion quelque peu relative, on devrait êtrebientôt fixé. Pour la promotion du janvier , les ministresont pour consigne de ne pas proposer plus de personnes à décorer. Peu d’ appelés. Encore moins d’élus. Et beaucoupdedéçus. Onimagine que cette liste sera scrutée avec une attention toute particulière.
« Sujet de grande fierté pour ceux qui l’arborent ; objet de toutes sortes de soupçons ou de moqueries pour ceux qui ne l’ont pas reçue, ou mieux, qui l’ont refusée. »