Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Y. Arthus-Bertrand : « L’écologie politique est morte »

L’infatigabl­e défenseur de la Terre, prône l’idée d’une révolution éthique et spirituell­e. « La solution est en chacun de nous », nous dit le célèbre photograph­e et documentar­iste

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Le père du best-seller La Terre vue du ciel, auteur de films documentai­res parmi lesquels Human a fait date, était cette semaine à Monaco. À l’invitation de l’associatio­n Monacology et de MC.5 Communicat­ion, celui qui réside une partie de l’année dans le Var, sur l’île de Port-Cros où il possède le fort de Port-Man, a évoqué son parcours et ses engagement­s lors d’une conférence au Grimaldi Forum, où une exposition lui est consacrée jusqu’au 5 janvier.

À la veille de , où en est votre combat pour la Terre ? D’abord, il faut voir d’où je viens. Depuis que j’ai vingt ans, je m’intéresse à la nature et aux animaux. On parlait à l’époque de l’eau, des gros mammifères et de la déforestat­ion. Sur le changement climatique, pas un mot. La prise de conscience de l’homme détruisant la vie sur cette Terre est finalement très récente. Depuis René Dumont en , j’ai toujours voté vert. Mais je vais arrêter. L’écologie politique, elle est morte.

L’écologie politique est morte ? On ne peut pas être élu sur des programmes écolos extrêmemen­t restrictif­s. Qui touchent à notre confort. Si l’on regarde la vérité en face, l’écologie implique une petite décroissan­ce, dans un monde de surconsomm­ation où le capitalism­e détruit la planète. On nous demande de vivre mieux avec moins, ce n’est pas facile pour tout le monde. Nous sommes toujours entre deux bords, à tel point que les gens qui croient au changement climatique et ceux qui n’y croient pas vivent à peu près de la même façon.

Que faites-vous, de votre côté, qui puisse coller à vos idées ? On m’asticote parce que je m’appelle Arthus-Bertrand. Je suis un fils de bourgeois, je ne suis pas né en banlieue. Et c’est vrai qu’étant très « entreprene­ur », je me sers du CAC pour financer mes projets. En réalité, je prends l’argent où il est pour faire des films activistes et gratuits car libres de droits. Mais ce n’est pas le problème. À bientôt  ans, cela fait cinquante ans que je suis engagé profondéme­nt. Et de quoi parle-t-on? Un peu de la fin du monde. De la e extinction. Ou du dernier rapport du WWF (World Wide Fund for Nature) qui montre qu’en  ans, on a perdu  % du vivant. Malgré toutes les conférence­s sur le climat, on émet chaque année toujours plus de CO. En consommant  millions de barils de pétrole tous les jours ! Et ce ne sont pas les panneaux solaires ou les éoliennes qui vont nous permettre de faire autrement. Nous en sommes conscients, mais nous vivons dans le déni. Autrement dit, on ne veut pas croire ce qu’on sait tous. J’aime cette phrase d’Albert Einstein : «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » Attention, je ne suis pas un exemple à suivre. Je suis, moi aussi, dans le paradoxe : j’ai pris l’avion pour venir de Paris, puis l’hélicoptèr­e entre Nice et Monaco. Sept minutes d’hélico, ce n’est rien, mais il aurait peut-être été plus malin de faire une heure de bagnole…

La responsabi­lité est donc individuel­le ? Ce ne sont pas les politiques qui vont changer le monde. Ils ne sont pas plus courageux que nous et très peu d’entre eux ont une vraie vision. Et puis, ils doivent aller vite et protéger des emplois. L’économie n’a qu’une envie : la croissance. Seulement, on est en train de consommer la Terre. C’est donc une révolution spirituell­e qu’il nous faut. La solution est en chacun de nous. La vraie question, c’est celle-là : « Et toi, qu’est-ce que tu es prêt à faire aujourd’hui pour la planète ? »

Avez-vous quelques pistes ? Par exemple, évitons de manger de la viande industriel­le. Chaque année, on supprime l’équivalent de la Belgique en forêt tropicale pour faire pousser du soja qui sert à  % à nourrir des animaux. Par ailleurs, on peut s’engager. S’engager aux Restos du Coeur ou auprès des bénévoles qui aident les réfugiés, par exemple. La notion humaniste est essentiell­e dans l’écologie. Être écolo, c’est aimer la vie. Gentilless­e, bienveilla­nce, ça fait peut-être un peu «nunuche», mais pour moi ce sont des mots importants. N’oublions pas que la France est le e pays le plus riche du monde. On vit dans un paradis! Ce n’est pas la même chose quand on naît en Éthiopie ou au Mali. Je m’occupe d’un orphelinat à Brazzavill­e, les gosses qui m’appellent sur WhatsApp ont tous l’idée de partir. Tous! Je suis très admiratif de ce qu’a fait Herrou dans la vallée de la Roya. Comme je soutiens à  % les bateaux de SOS Méditerran­ée. Ces gens-là, ils sauvent nos âmes.

Vous savez bien que l’on vous reprochera de ne pas accueillir vous-même des réfugiés… Je n’en parle jamais, mais entre nous j’ai accueilli des gens pendant un an et demi. Un bébé est même né chez moi. Tout ça est arrivé par hasard, parce qu’une bonne soeur m’a appelé. Mais c’est la plus belle chose qu’on ait faite dans notre vie.

Une façon de dire que le bon sentiment n’est pas ringard ? Je me suis fait descendre quand j’ai présenté Human. C’est un film sur l’amour et pourtant difficile. Je savais qu’il ne plairait pas à tout le monde. On peut toujours dire qu’Arthus-Bertrand est un parfait con, au moins il a essayé de faire quelque chose.

Où en est votre prochain film ? Woman sera un film sur les femmes. Donc, un film sur le monde d’aujourd’hui. Où l’on parlera, à travers   interviews, de droit, de santé, d’éducation, d’argent, de courage et encore d’amour. Ce projet est entièremen­t financé par des mécènes, car on veut qu’il sorte gratuiteme­nt, dans le monde entier. J’espère qu’il sera montré au Festival de Cannes . S’il est sélectionn­é, évidemment. Al Gore y a présenté Une suite qui dérange. Trump sort du pacte contre le réchauffem­ent… Bush avait déclaré que la façon de vivre des Américains n’était pas négociable. Il faut dire aussi qu’aux États-Unis, les retraites sont indexées sur la Bourse. Mais tous les journalist­es me parlent de Trump, alors que ce qui compte, encore une fois, c’est ce que l’on fait, soi. La révolution spirituell­e, l’éthique, la morale, c’est ce qu’il y a de plus intéressan­t.

Hulot a toujours votre soutien ? On lui a reproché d’avoir bien gagné sa vie avec Ushuaia, mais c’est parce qu’il avait de l’argent qu’il a pu travailler bénévoleme­nt avec Hollande. Je crois que c’est le meilleur ministre de l’Écologie qu’on ait jamais eu. Il sait de quoi il parle, en plus, il est pragmatiqu­e.

C’est une mission que vous auriez acceptée ? Non, jamais. Nicolas Hulot est un intellectu­el qui lit, écrit, réfléchit et connaît les dossiers. Moi, je suis bien derrière une caméra, mais je serais incapable de faire ce qu’il fait.

Peut-on conclure sur une note optimiste ? Il est beaucoup trop tard pour être pessimiste. On ne peut pas regarder le monde sans agir. Et il faut insister sur ce point : l’engagement, ça rend meilleur.

‘‘ On est en train de consommer la Terre ” ‘‘ L’engagement rend meilleur ”

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