Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Mgr Rey : « La décision de Trump ne peut que jeter de l’huile sur le feu »
Dans un entretien à Var-matin, l’évêque Dominique Rey rappelle la dimension spirituelle de Noël, sans éluder les questions internationales : Jérusalem et accueil des migrants
Àl’occasion de Noël qui célèbre la naissance du Christ, l’agenda de Monseigneur Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, est des plus chargés. Cet homme de Dieu a néanmoins pris le temps d’adresser un message, absolument pas réservé aux seuls fidèles, et a accepté de répondre à nos questions sur l’actualité.
À l’occasion de cette fête de Noël, quel message souhaitezvous adresser aux chrétiens et, plus largement, aux Varois ? Le message de Noël est universel. Il ne s’adresse pas forcément aux chrétiens, mais à tout homme. Jésus n’est pas venu sur Terre uniquement pour les chrétiens, mais pour que le monde découvre en lui le visage de Dieu. Et ce qui est intéressant, c’est que la première manifestation du Christ que nous voyons à Bethléem, c’est le visage d’un petit enfant. Tout le mystère de l’enfance nous renvoie au coeur de Dieu. L’enfant, c’est celui qui suggère en nous un émerveillement. Lui-même est d’ailleurs émerveillé de découvrir la vie. Et puis, l’enfant est surtout pour moi le signe de l’espérance. Il a les yeux qui regardent vers l’avenir. Il a très peu de passé. L’enfant nous aide à comprendre comment on peut se projeter dans la vie, combien pour nous la vie actuelle est appelée à une éternité, est déjà l’annonce du royaume de paix, de justice et d’amour. Contempler l’enfant de Bethléem, c’est retrouver confiance dans l’avenir, croire qu’un futur est possible.
Bethléem nous ramène où tout a commencé : la Terre sainte. Quelle est votre réaction à la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël ? Cette décision ne peut que jeter le trouble dans une région où les équilibres sont fragiles. Je me suis rendu plusieurs fois à Jérusalem et j’en connais le contexte. La ville de Jérusalem est certes le centre religieux du judaïsme, mais elle représente aussi pour les musulmans la
cité la plus importante dans l’histoire de l’islam. Et ne parlons pas du christianisme qui y vénère Jésus de Nazareth, le Messie, le Christ. Par rapport à cette histoire chargée, compliquée, douloureuse, toute intervention sur le statut de Jérusalem a de lourdes conséquences. L’Église a longtemps rappelé le statut international de Jérusalem, statut particulier lié à son histoire, au croisement de toutes ces religions et cultures. Je le répète : cette décision de Donald Trump ne peut que jeter de l’huile sur le feu.
Vous avez peur pour la paix ? La paix – shalom – c’est le nom même de Jérusalem. Mais, dans une région où les tensions sont exacerbées, cette paix, on le sait, est fragile. Il faut donc tout faire pour la préserver dans le respect de chacun et avec un vrai souci de justice. La décision de Donald Trump risque au contraire de rallumer des guerres intestines. On a d’ailleurs déjà vu les premières expressions de cette colère, notamment de certains groupes armés palestiniens.
Restons au Moyen-Orient. Après les revers militaires de Daesh, on n’entend plus trop parler des chrétiens d’Orient. Les a-t-on oubliés un peu trop vite ? La situation globale de la Syrie, de l’Irak reste très précaire. Bien sûr Daesh a été battu, mais la situation politique est toujours très instable. D’un point de vue strictement religieux, ces guerres ont provoqué l’exil d’un certain nombre de chrétiens. Ces derniers sont donc encore plus minoritaires qu’ils ne l’étaient auparavant. Et ce n’est pas fini. Car si l’exil ou l’exode des jeunes tient à la guerre, il est aussi alimenté par toutes les conséquences de la guerre, et notamment le chaos économique. Lorsqu’on va en Syrie, on s’aperçoit que beaucoup de jeunes continuent de vouloir quitter leur pays parce qu’ils n’ont pas d’avenir économique sur place. Tout l’effort de l’Église consiste donc à apporter une aide matérielle afin que ces jeunes puissent trouver un avenir sur place, et ne viennent pas grossir les vagues de migration. Il y a là un enjeu géostratégique assez considérable.
Pourquoi, à vos yeux, est-il si important que les chrétiens restent implantés dans cette région du monde ? Le christianisme a été un facteur très important de la pacification, de la rencontre entre les différents groupes religieux. Le christianisme au Moyen-Orient a toujours représenté une matrice de dialogue et de pacification par rapport aux tensions entre les différentes communautés. L’Église souhaite continuer à jouer ce rôle.
Notre identité nationale s’est construite par des apports extérieurs ” Nous formons une seule humanité ”
Noël est aussi l’histoire d’une famille de sans-abri, de migrants. Quand on voit les images de ces hommes traversant les Alpes en plein hiver, l’accueil de notre pays est-il à la hauteur de ce que représente la France ? Je rappellerai avant toute chose que notre identité nationale s’est construite par des apports extérieurs tout au long de l’histoire. Ces apports sont un enrichissement. Mais pour revenir à la question des migrants, il nous faut travailler avec une double perspective : nécessité d’accueil de l’étranger comme le réclame l’Évangile, dans la fidélité au message du Christ. Et, en même temps, prudence pour le faire dans des conditions qui permettent une vraie intégration de ces populations, en les respectant, et pas en les parquant, ni en les mettant dans des conditions inhumaines. Plus en amont, il faut aussi que l’Europe investisse généreusement dans le développement des pays d’où ces populations viennent. Il faut s’attaquer aux sources du problème, à savoir la guerre, les déséquilibres économiques. Ce qui suppose une aide sérieuse au développement. Les poursuites judiciaires dont font l’objet les citoyens, notamment ceux de la vallée de La Roya, qui aident les migrants à passer la frontière, vous paraissent-elles justes ? Il faut distinguer d’un côté les passeurs qui exploitent les populations fragiles en leur demandant des sommes considérables d’argent par rapport à leurs capacités. Ce comportement mercantile est bien sûr à condamner, à proscrire et les sanctions à l’encontre de ces individus sont nécessaires. Et puis, de l’autre côté, il y a ceux qui, par générosité et philanthropie, pour des motifs pas seulement religieux, mais humanitaires, se disent qu’il faut aider les migrants à arriver en France. Même si je respecte leur engagement, j’invite quand même ces « passeurs » philanthropes à réfléchir à leur acte. Car il ne s’agit pas simplement d’amener des gens en France, mais de s’assurer de leur future bonne intégration, assimilation. Je le redis : je milite pour que soit menée une réflexion sur ce double critère de la générosité – nous formons une seule planète, une seule humanité, nous sommes responsables les uns des autres, nous nous devons d’aider des personnes dans le désarroi – et de la prudence pour pouvoir accueillir, intégrer dans des conditions qui le permettent. En tous les cas, si des personnes sont renvoyées chez elles, qu’on le fasse dans des conditions de dignité et non pas en usant de moyens policiers disproportionnés. Cette interview a été réalisée le jeudi 21 décembre.