Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Mgr Rey : « La décision de Trump ne peut que jeter de l’huile sur le feu »

Dans un entretien à Var-matin, l’évêque Dominique Rey rappelle la dimension spirituell­e de Noël, sans éluder les questions internatio­nales : Jérusalem et accueil des migrants

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Àl’occasion de Noël qui célèbre la naissance du Christ, l’agenda de Monseigneu­r Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, est des plus chargés. Cet homme de Dieu a néanmoins pris le temps d’adresser un message, absolument pas réservé aux seuls fidèles, et a accepté de répondre à nos questions sur l’actualité.

À l’occasion de cette fête de Noël, quel message souhaitezv­ous adresser aux chrétiens et, plus largement, aux Varois ? Le message de Noël est universel. Il ne s’adresse pas forcément aux chrétiens, mais à tout homme. Jésus n’est pas venu sur Terre uniquement pour les chrétiens, mais pour que le monde découvre en lui le visage de Dieu. Et ce qui est intéressan­t, c’est que la première manifestat­ion du Christ que nous voyons à Bethléem, c’est le visage d’un petit enfant. Tout le mystère de l’enfance nous renvoie au coeur de Dieu. L’enfant, c’est celui qui suggère en nous un émerveille­ment. Lui-même est d’ailleurs émerveillé de découvrir la vie. Et puis, l’enfant est surtout pour moi le signe de l’espérance. Il a les yeux qui regardent vers l’avenir. Il a très peu de passé. L’enfant nous aide à comprendre comment on peut se projeter dans la vie, combien pour nous la vie actuelle est appelée à une éternité, est déjà l’annonce du royaume de paix, de justice et d’amour. Contempler l’enfant de Bethléem, c’est retrouver confiance dans l’avenir, croire qu’un futur est possible.

Bethléem nous ramène où tout a commencé : la Terre sainte. Quelle est votre réaction à la décision de Donald Trump de reconnaîtr­e Jérusalem comme la capitale d’Israël ? Cette décision ne peut que jeter le trouble dans une région où les équilibres sont fragiles. Je me suis rendu plusieurs fois à Jérusalem et j’en connais le contexte. La ville de Jérusalem est certes le centre religieux du judaïsme, mais elle représente aussi pour les musulmans la

cité la plus importante dans l’histoire de l’islam. Et ne parlons pas du christiani­sme qui y vénère Jésus de Nazareth, le Messie, le Christ. Par rapport à cette histoire chargée, compliquée, douloureus­e, toute interventi­on sur le statut de Jérusalem a de lourdes conséquenc­es. L’Église a longtemps rappelé le statut internatio­nal de Jérusalem, statut particulie­r lié à son histoire, au croisement de toutes ces religions et cultures. Je le répète : cette décision de Donald Trump ne peut que jeter de l’huile sur le feu.

Vous avez peur pour la paix ? La paix – shalom – c’est le nom même de Jérusalem. Mais, dans une région où les tensions sont exacerbées, cette paix, on le sait, est fragile. Il faut donc tout faire pour la préserver dans le respect de chacun et avec un vrai souci de justice. La décision de Donald Trump risque au contraire de rallumer des guerres intestines. On a d’ailleurs déjà vu les premières expression­s de cette colère, notamment de certains groupes armés palestinie­ns.

Restons au Moyen-Orient. Après les revers militaires de Daesh, on n’entend plus trop parler des chrétiens d’Orient. Les a-t-on oubliés un peu trop vite ? La situation globale de la Syrie, de l’Irak reste très précaire. Bien sûr Daesh a été battu, mais la situation politique est toujours très instable. D’un point de vue strictemen­t religieux, ces guerres ont provoqué l’exil d’un certain nombre de chrétiens. Ces derniers sont donc encore plus minoritair­es qu’ils ne l’étaient auparavant. Et ce n’est pas fini. Car si l’exil ou l’exode des jeunes tient à la guerre, il est aussi alimenté par toutes les conséquenc­es de la guerre, et notamment le chaos économique. Lorsqu’on va en Syrie, on s’aperçoit que beaucoup de jeunes continuent de vouloir quitter leur pays parce qu’ils n’ont pas d’avenir économique sur place. Tout l’effort de l’Église consiste donc à apporter une aide matérielle afin que ces jeunes puissent trouver un avenir sur place, et ne viennent pas grossir les vagues de migration. Il y a là un enjeu géostratég­ique assez considérab­le.

Pourquoi, à vos yeux, est-il si important que les chrétiens restent implantés dans cette région du monde ? Le christiani­sme a été un facteur très important de la pacificati­on, de la rencontre entre les différents groupes religieux. Le christiani­sme au Moyen-Orient a toujours représenté une matrice de dialogue et de pacificati­on par rapport aux tensions entre les différente­s communauté­s. L’Église souhaite continuer à jouer ce rôle.

Notre identité nationale s’est construite par des apports extérieurs ” Nous formons une seule humanité ”

Noël est aussi l’histoire d’une famille de sans-abri, de migrants. Quand on voit les images de ces hommes traversant les Alpes en plein hiver, l’accueil de notre pays est-il à la hauteur de ce que représente la France ? Je rappellera­i avant toute chose que notre identité nationale s’est construite par des apports extérieurs tout au long de l’histoire. Ces apports sont un enrichisse­ment. Mais pour revenir à la question des migrants, il nous faut travailler avec une double perspectiv­e : nécessité d’accueil de l’étranger comme le réclame l’Évangile, dans la fidélité au message du Christ. Et, en même temps, prudence pour le faire dans des conditions qui permettent une vraie intégratio­n de ces population­s, en les respectant, et pas en les parquant, ni en les mettant dans des conditions inhumaines. Plus en amont, il faut aussi que l’Europe investisse généreusem­ent dans le développem­ent des pays d’où ces population­s viennent. Il faut s’attaquer aux sources du problème, à savoir la guerre, les déséquilib­res économique­s. Ce qui suppose une aide sérieuse au développem­ent. Les poursuites judiciaire­s dont font l’objet les citoyens, notamment ceux de la vallée de La Roya, qui aident les migrants à passer la frontière, vous paraissent-elles justes ? Il faut distinguer d’un côté les passeurs qui exploitent les population­s fragiles en leur demandant des sommes considérab­les d’argent par rapport à leurs capacités. Ce comporteme­nt mercantile est bien sûr à condamner, à proscrire et les sanctions à l’encontre de ces individus sont nécessaire­s. Et puis, de l’autre côté, il y a ceux qui, par générosité et philanthro­pie, pour des motifs pas seulement religieux, mais humanitair­es, se disent qu’il faut aider les migrants à arriver en France. Même si je respecte leur engagement, j’invite quand même ces « passeurs » philanthro­pes à réfléchir à leur acte. Car il ne s’agit pas simplement d’amener des gens en France, mais de s’assurer de leur future bonne intégratio­n, assimilati­on. Je le redis : je milite pour que soit menée une réflexion sur ce double critère de la générosité – nous formons une seule planète, une seule humanité, nous sommes responsabl­es les uns des autres, nous nous devons d’aider des personnes dans le désarroi – et de la prudence pour pouvoir accueillir, intégrer dans des conditions qui le permettent. En tous les cas, si des personnes sont renvoyées chez elles, qu’on le fasse dans des conditions de dignité et non pas en usant de moyens policiers disproport­ionnés. Cette interview a été réalisée le jeudi 21 décembre.

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(Photo Frank Muller)

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