Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Harcèlemen­t au travail : un tabou qu’il faut lever

Dans un monde du travail qui évolue, il faut pouvoir se prémunir contre certains agissement­s. Pas toujours facile à en croire Louisette Tiouchichi­ne-Maret, de l’associatio­n Le Cap

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE RABISSE vrabisse@varmatin.com

Alors que le code du travail est en pleine réforme et que les questions de harcèlemen­t, sexuel notamment, sont plus que jamais sous le feu des projecteur­s, un Français sur deux dit ne pas se sentir assez protégé contre le harcèlemen­t moral au travail. C’est le résultat d’un sondage publié ces derniers jours par le site Internet des Echos, réalisé pour Aneo, un cabinet de conseil expert en organisati­on des entreprise­s. Dans le Var, l’associatio­n Le Cap, créée en 2004 par Louisette Tiouchichi­ne-Maret, aide les victimes à se protéger et à se défendre. Prochainem­ent, à Toulon, la structure mettra en place des groupes de travail, « avec des juristes, des avocats, des victimes». Le but : « Faire en sorte que les gens comprennen­t ce qu’ils vivent et soient en mesure de dénoncer ce qu’il se passe dans leur travail. » Rencontre avec une juriste d’autant plus passionnée par son travail qu’elle-même a souffert de harcèlemen­t.

Comment expliquez-vous que le harcèlemen­t moral arrive en tête des inquiétude­s des travailleu­rs, largement devant les licencieme­nts économique­s ou les délocalisa­tions ?

Le problème avec le harcèlemen­t moral, c’est que c’est un tabou. On entend des chefs d’entreprise dire que les salariés se plaignent de harcèlemen­t moral dès qu’on leur demande de travailler. Alors, forcément, les salariés craignent de ne pas être entendus lorsqu’ils rencontren­t ce type de violence. Parce que c’est de la violence morale. Ça existe ! Je compare souvent ça aux violences conjugales : on a longtemps dit que ça relevait de la sphère privée et qu’on ne pouvait pas le prouver. Aujourd’hui, les condamnati­ons sont de plus en plus nombreuses et sévères. C’est pourquoi l’associatio­n Le Cap se bat pour l’effectivit­é de la loi : il n’y a pas besoin d’en créer de nouvelles.

Mais au bout du compte, le harcèlemen­t moral au travail est-il plus répandu aujourd’hui qu’auparavant ? Oui, parce que le monde du travail et le mode de management eux-mêmes ont changé. On est dans un management de l’affect où tout est mélangé. Beaucoup de managers veulent être aimés voire flattés, ils ne veulent pas de salariés qui évoquent des problèmes, des difficulté­s : s’ils le font, ce sont eux qui sont considérés comme des problèmes et on occulte la qualité de leur travail, au point que la compétence est parfois mal vue. C’est pourtant ça qu’il faut remettre au centre : le travail comme une valeur qu’on regarde de façon objective. Globalemen­t, on compte de plus en plus de ruptures convention­nelles : c’est un indicateur de harcèlemen­t, car des gens sont tellement mal qu’ils acceptent de partir. On note aussi que les femmes sont plus exposées :  % de nos dossiers sont déposés par des femmes, dont beaucoup subissent des discrimina­tions en rapport avec la maternité.

En somme, vous dites, que des aspects personnels entrent en collision avec le profession­nel…

Oui. Et je ne parle pas de problèmes personnels qu’on aurait en dehors du travail. Simplement d’aspects qui ne concernent pas le profession­nel. Je parle, notamment, de personnes qui n’entrent pas dans le jeu de ce fameux management à l’affect et qui, pour autant, font parfaiteme­nt leur travail. Un exemple : si vous êtes passionné par votre travail, que vous y passez du temps, la rumeur est vite répandue que vous avez des problèmes personnels.

Comment repérer ces faits-là ?

Déjà, lorsque l’on se pose la question, c’est qu’il y a quelque chose. Ensuite, ça se matérialis­e souvent par une multiplica­tion des tâches, qui deviennent impossible­s à toutes mener à bien ou par un manager qui souffle le chaud et le froid, qui cherche à diviser. Ça se produit souvent à l’arrivée d’un nouveau directeur, régional par exemple, dans des entreprise­s qui veulent faire partir du monde. Il propose une nouvelle organisati­on, a priori pour le bien commun, mais qui se révèle irréalisab­le. Dans ce cas, c’est du harcèlemen­t stratégiqu­e. Il y a aussi le harcèlemen­t de l’incompéten­t, qui craint justement la compétence. Ce cas n’est pas l’apanage du manager : dans un monde de plus en plus individual­iste, le collectif disparaît au profit de clans et les salariés eux-mêmes peuvent devenir harceleurs. Et puis,ilyale harceleur caractérie­l, qui passe son temps à hurler, mais celui-ci fait plutôt l’unanimité contre lui.

Il faut remettre le travail au centre” Si on se pose la question, c’est qu’il y a quelque chose”

Que faut-il faire si on est confronté à du harcèlemen­t moral ?

Le souci de la victime, c’est qu’elle cherche à comprendre, se remet en cause à en devenir folle. Mais le problème, ce n’est pas elle, mais le harceleur. C’est la première chose qu’il faut intégrer pour se protéger : comprendre qu’on est dans une relation déloyale. Puis, il faut donner au harceleur le moins de prise possible et mettre en place une stratégie pour se défendre selon le profil de harcèlemen­t. Il faut faire des courriers à sa direction pour signaler ce qu’il se passe d’anormal : même si ça n’a pas d’effet immédiat, ça permet au moins de laisser des traces, si on va jusqu’aux Prud’hommes.

Quels sont les risques ?

Aujourd’hui le travail tue ! Profession­nellement, moralement. Le harcèlemen­t moral, on en tombe malade physiqueme­nt : les victimes se remettent en cause à l’extrême, cherchant à comprendre d’où vient le problème. Elles tombent alors dans l’hypervigil­ance et le présentéis­me : c’est-à-dire qu’elles passent tout leur temps à tout vérifier, à tout reprendre… La difficulté pour notre associatio­n, c’est que quand les gens viennent nous voir, c’est souvent trop tard.

Avec la réforme du code du travail, les salariés doivent-ils craindre d’être encore plus exposés ?

Au contraire. Vous savez, malgré les taux de chômage, recruter n’est pas facile pour les employeurs. Or, si les gens peuvent démissionn­er plus facilement tout en conservant des indemnités, peut-être que les employeurs seront plus attentifs à faire en sorte de les garder…

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 ?? (Photo V. R.) ?? « Aujourd’hui, le travail tue », martèle Louisette Tiouchichi­neMaret, directrice de l’associatio­n Le Cap, qui défend les victimes de harcèlemen­t.
(Photo V. R.) « Aujourd’hui, le travail tue », martèle Louisette Tiouchichi­neMaret, directrice de l’associatio­n Le Cap, qui défend les victimes de harcèlemen­t.

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