Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Harcèlement au travail : un tabou qu’il faut lever
Dans un monde du travail qui évolue, il faut pouvoir se prémunir contre certains agissements. Pas toujours facile à en croire Louisette Tiouchichine-Maret, de l’association Le Cap
Alors que le code du travail est en pleine réforme et que les questions de harcèlement, sexuel notamment, sont plus que jamais sous le feu des projecteurs, un Français sur deux dit ne pas se sentir assez protégé contre le harcèlement moral au travail. C’est le résultat d’un sondage publié ces derniers jours par le site Internet des Echos, réalisé pour Aneo, un cabinet de conseil expert en organisation des entreprises. Dans le Var, l’association Le Cap, créée en 2004 par Louisette Tiouchichine-Maret, aide les victimes à se protéger et à se défendre. Prochainement, à Toulon, la structure mettra en place des groupes de travail, « avec des juristes, des avocats, des victimes». Le but : « Faire en sorte que les gens comprennent ce qu’ils vivent et soient en mesure de dénoncer ce qu’il se passe dans leur travail. » Rencontre avec une juriste d’autant plus passionnée par son travail qu’elle-même a souffert de harcèlement.
Comment expliquez-vous que le harcèlement moral arrive en tête des inquiétudes des travailleurs, largement devant les licenciements économiques ou les délocalisations ?
Le problème avec le harcèlement moral, c’est que c’est un tabou. On entend des chefs d’entreprise dire que les salariés se plaignent de harcèlement moral dès qu’on leur demande de travailler. Alors, forcément, les salariés craignent de ne pas être entendus lorsqu’ils rencontrent ce type de violence. Parce que c’est de la violence morale. Ça existe ! Je compare souvent ça aux violences conjugales : on a longtemps dit que ça relevait de la sphère privée et qu’on ne pouvait pas le prouver. Aujourd’hui, les condamnations sont de plus en plus nombreuses et sévères. C’est pourquoi l’association Le Cap se bat pour l’effectivité de la loi : il n’y a pas besoin d’en créer de nouvelles.
Mais au bout du compte, le harcèlement moral au travail est-il plus répandu aujourd’hui qu’auparavant ? Oui, parce que le monde du travail et le mode de management eux-mêmes ont changé. On est dans un management de l’affect où tout est mélangé. Beaucoup de managers veulent être aimés voire flattés, ils ne veulent pas de salariés qui évoquent des problèmes, des difficultés : s’ils le font, ce sont eux qui sont considérés comme des problèmes et on occulte la qualité de leur travail, au point que la compétence est parfois mal vue. C’est pourtant ça qu’il faut remettre au centre : le travail comme une valeur qu’on regarde de façon objective. Globalement, on compte de plus en plus de ruptures conventionnelles : c’est un indicateur de harcèlement, car des gens sont tellement mal qu’ils acceptent de partir. On note aussi que les femmes sont plus exposées : % de nos dossiers sont déposés par des femmes, dont beaucoup subissent des discriminations en rapport avec la maternité.
En somme, vous dites, que des aspects personnels entrent en collision avec le professionnel…
Oui. Et je ne parle pas de problèmes personnels qu’on aurait en dehors du travail. Simplement d’aspects qui ne concernent pas le professionnel. Je parle, notamment, de personnes qui n’entrent pas dans le jeu de ce fameux management à l’affect et qui, pour autant, font parfaitement leur travail. Un exemple : si vous êtes passionné par votre travail, que vous y passez du temps, la rumeur est vite répandue que vous avez des problèmes personnels.
Comment repérer ces faits-là ?
Déjà, lorsque l’on se pose la question, c’est qu’il y a quelque chose. Ensuite, ça se matérialise souvent par une multiplication des tâches, qui deviennent impossibles à toutes mener à bien ou par un manager qui souffle le chaud et le froid, qui cherche à diviser. Ça se produit souvent à l’arrivée d’un nouveau directeur, régional par exemple, dans des entreprises qui veulent faire partir du monde. Il propose une nouvelle organisation, a priori pour le bien commun, mais qui se révèle irréalisable. Dans ce cas, c’est du harcèlement stratégique. Il y a aussi le harcèlement de l’incompétent, qui craint justement la compétence. Ce cas n’est pas l’apanage du manager : dans un monde de plus en plus individualiste, le collectif disparaît au profit de clans et les salariés eux-mêmes peuvent devenir harceleurs. Et puis,ilyale harceleur caractériel, qui passe son temps à hurler, mais celui-ci fait plutôt l’unanimité contre lui.
Il faut remettre le travail au centre” Si on se pose la question, c’est qu’il y a quelque chose”
Que faut-il faire si on est confronté à du harcèlement moral ?
Le souci de la victime, c’est qu’elle cherche à comprendre, se remet en cause à en devenir folle. Mais le problème, ce n’est pas elle, mais le harceleur. C’est la première chose qu’il faut intégrer pour se protéger : comprendre qu’on est dans une relation déloyale. Puis, il faut donner au harceleur le moins de prise possible et mettre en place une stratégie pour se défendre selon le profil de harcèlement. Il faut faire des courriers à sa direction pour signaler ce qu’il se passe d’anormal : même si ça n’a pas d’effet immédiat, ça permet au moins de laisser des traces, si on va jusqu’aux Prud’hommes.
Quels sont les risques ?
Aujourd’hui le travail tue ! Professionnellement, moralement. Le harcèlement moral, on en tombe malade physiquement : les victimes se remettent en cause à l’extrême, cherchant à comprendre d’où vient le problème. Elles tombent alors dans l’hypervigilance et le présentéisme : c’est-à-dire qu’elles passent tout leur temps à tout vérifier, à tout reprendre… La difficulté pour notre association, c’est que quand les gens viennent nous voir, c’est souvent trop tard.
Avec la réforme du code du travail, les salariés doivent-ils craindre d’être encore plus exposés ?
Au contraire. Vous savez, malgré les taux de chômage, recruter n’est pas facile pour les employeurs. Or, si les gens peuvent démissionner plus facilement tout en conservant des indemnités, peut-être que les employeurs seront plus attentifs à faire en sorte de les garder…