Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le mal des profondeurs
«L’affaire ziphius.» Ce pourrait être le nom d’un bon polar. Ces jours-ci, c’est plutôt une série noire qui préoccupe les cétologues en Méditerranée. On les appelle ziphius, donc, ou baleines à bec de Cuvier. Mais leur morphologie et leurs dents les rapprochent des dauphins. Membres de la famille des cétacés, les ziphius sont « une espèce assez rare et méconnue, selon le Dr Frank Dhermain, président du GECEM à Marseille. C’est l’animal qui plonge le plus profond, à 3000 mètres, et durant plus de deux heures! Il est très dur à étudier car il passe l’essentiel de sa vie sous l’eau ». Parfois, c’est la mort qui l’amène jusque sur nos rivages. Ce n’était plus arrivé depuis 2007. Or cinq cas successifs viennent d’être recensés, entre novembre 2017 et janvier dernier. Dont deux dans le Var: Saint-Raphaël le 27 novembre, Ramatuelle le 8 janvier. Deux autres cas ont été relevés à Cassis. Et un cinquième en Toscane. « C’est inquiétant », souligne le Dr Dhermain, qui pense tenir une piste. «La plupart des cas peuvent être liés à des accidents de décompression. Cela arrive quand ils sont en proie à la panique.» S’ils habitent le « monde du silence», les ziphius sont très sensibles au bruit. Notamment aux sonars.
L’homme, suspect n°
«Les niveaux sonores importants des sonars conduisent les ziphius à interrompre leur plongée profonde. Et cela peut créer des déséquilibres. La gazéification d’azote dans leur sang provoque des embolies, un peu comme lors des accidents de décompression pour les plongeurs», résume Alexandre Gannier, président du Groupe de recherche des cétacés (Grec) basé à Antibes. Suspects n°1 ? «Les frégates et leurs sonars puissants, qui cherchent des sousmarins lors d’entraînements.» Que la marine se livre à des manoeuvres, «c’est bien normal», pour Alexandre Gannier. Ce qu’il déplore en revanche, c’est le «rideau de fumée» auquel il se heurte dans sa quête de vérité. «On peut penser à des activités humaines… mais on n’en a aucune preuve», avance prudemment le Dr Dhermain. À la préfecture maritime de Toulon, Stéphane Peron écarte la piste des sonars : « Nous avons vérifié. Nous n’avons pas pu faire de corrélations entre ces échouages et des campagnes scientifiques ou des activités militaires. » Fait nouveau : un groupe de travail a été lancé avec l’Ifremer, en vue de réduire le bruit dans le cadre des recherches en mer. Ce week-end, à La Spezia (Ligurie), un congrès réunit des cétologues internationaux. Dont des spécialistes venus des îles des Canaries. « C’est là que le phénomène a débuté, quand des manoeuvres militaires de l’Otan ont entraîné des dizaines d’échouages de ziphius, rappelle Frank Dhermain. On est donc extrêmement attentif.»