Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
«Les Français me disent : tenez bon!»
Réforme de la SNCF, agitation dans les facs, évacuation de Notre-Dame-des-Landes : le Premier ministre tient bon et entend continuer. C’est ce qu’il a expliqué à notre journal hier matin
Sur son bureau, bien en vue, Les Couleurs de l’incendie, le dernier roman de Pierre Lemaitre. Surtout, n’y voir aucun symbole. Au lendemain de l’intervention du président de la République au JT de Jean-Pierre Pernaut sur TF1, son Premier ministre n’en est pas encore réduit à jouer les pompiers de service. Face aux représentants de la presse quotidienne régionale, Édouard Philippe a, en quelque sorte, assuré le service après-vente du chef de l’Etat hier matin, répétant que celui-ci « fait ce qu’il dit » et que son gouvernement est à l’unisson. Droit dans ses bottes, détendu et maniant toujours aussi volontiers l’humour, le locataire de Matignon tient à montrer que l’exécutif ne cède pas à la panique, que les réformes sont légitimes et que les Français les attendent. Une opération de communication de plus ? Non, assure le Premier ministre, « de la pédagogie, car on n’en fait jamais assez. ». Après le maître d’école Macron jeudi, place donc au professeur Philippe.
LA RÉFORME DE LA SNCF
C’est la réforme-épreuve de vérité. Celle qui démontrera, si elle va au bout, que ce Président et ce gouvernement sont capables de réaliser ce que les autres n’ont pas pu ou pas su faire. L’enjeu est tel que le chef de l’Etat, son Premier ministre, sa ministre des Transports squattent, en ce moment, toutes les antennes pour expliquer le bien-fondé de leur action et convaincre que les avantages de la réforme sont infiniment supérieurs aux inconvénients liés à une grève conçue pour provoquer le plus de désagréments possible pour les usagers. Ceux-ci comprennent-ils la réforme ? « C’est compliqué, il faut expliquer et réexpliquer, admet Edouard Philippe. Tout le monde ne connaît pas par coeur la mécanique des ordonnances ; les discussions parlementaires portent sur des dispositions de fond et il est très difficile d’intégrer ce que représentent les 46 milliards de dettes de la SNCF. Mais nous sommes déterminés à continuer à faire de la pédagogie. » Les Français, excédés par les grèves, ne risquent-ils pas de pousser le gouvernement à reculer ? Le chef du gouvernement est convaincu (ou se convainc) du contraire. « Je vois beaucoup de Françaises et de Français qui me disent : “Tenezbon !” ». La méthode MacronPhilippe est-elle la bonne ? « Imagine-t-on qu’il en aurait existé une qui n’aurait pas suscité l’opposition, la réaction, la critique ? C’est une réforme ambitieuse qui change des choses qui sont profondément ancrées dans la culture de la SNCF. » Redoute-t-il le risque d’enlisement ? « Il y a une dynamique de la grève, mais aussi une dynamique de la discussion et une dynamique parlementaire, assure-til. S’agissant de la grève, je reste très prudent, mais je constate que la participation semble plutôt diminuer [lire notre encadré ci-dessous, ndlr]. Il est possible que l’impact pour les usagers diminue avec le temps. »
notre-damedes-landes
Edouard Philippe, qui s’est rendu, hier, à Notre-Dame-desLandes en compagnie de son ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, l’assure : la suspension des évacuations annoncée jeudi soir ne signifie en rien que le gouvernement recule. « Nous avons atteint l’ensemble des objectifs fixés. Nous n’avons pas pensé une seconde que cette opération serait simple. Nous savions qu’il y avait sur place des gens déterminés à ne pas respecter le cadre légal et à s’opposer violemment. Nous allons maintenant procéder au déblaiement et à la remise en état des terrains, ce qui prendra du temps. » Le Premier ministre le répète à l’envi : « Le gouvernement fait ce qu’il dit. Ce n’est une surprise pour personne. » Point barre.
les facs sous tension
C’est la hantise de tous les gouvernements. Un mouvement dans les universités qui fait tache d’huile, des débordements, des blessés... Edouard Philippe relativise et fustige « des gens qui sont étudiants ou ne le sont plus, davantage intéressés par des motivations politiques, qui ont parfois recours à la violence. Le mouvement est beaucoup moins uniforme que ce qui est présenté par certains, et dans beaucoup d’universités, les votes contre le blocage sont majoritaires. » Pourquoi faire procéder à des évacuations dans certaines facultés, comme à La Sorbonne jeudi soir, et pas dans d’autres ? « On peut intervenir quand des présidents d’université le demandent, après avoir vérifié que les conditions le permettent. On le fait avec mesure et en faisant très attention. » Comme pour Notre-Dame-desLandes, le message est on ne peut plus clair : « On fera respecter la loi. » Quid des examens ? « Il faut qu’ils aient lieu. Je ne comprends pas qu’on puisse imaginer le contraire. »
Comme en 1968 ou en 1995 ?
Une grogne qui pourrait s’étendre, des facs en ébullition, La Sorbonne évacuée cinquante ans plus tard : certains rêvent d’un anniversaire en forme de revival. Le Premier ministre n’y croit pas. « La France de 1968 n’est pas la France de 2018. » Plus proche de nous, pourrait-on connaître une situation comparable à celle de 1995 qui avait vu le mentor d’Edouard Philippe, Alain Juppé, renoncer à la réforme du système de protection sociale ? «La situation politique était différente, et il ne s’agissait pas d’une réforme de la SNCF, estime-t-il .En 1995, il y avait beaucoup moins la perception du risque et de la dégradation du service public ferroviaire. Les Français ont, aujourd’hui, une conscience beaucoup plus nette des enjeux. »